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Lyon, ses lettres contiennent ses salutations respectueuses, ses très humbles respects pour les révérends pères jésuites. S’il parle de Genève : « Heureux les Genevois, dit-il, s’ils reprenaient la foi de leurs aïeux ! » — Rousseau avait été bon protestant dans sa ville natale, il fut bon catholique en Savoie.

Il y a cependant une remarque à faire. En quelques mois passés à Turin et à Annecy, Rousseau y avait fait la connaissance d’ecclésiastiques distingués, l’abbé Gaime et l’abbé Gatier, dont il a aimé la haute et-noble nature, et qui lui laissèrent de longs souvenirs ; tandis que, pendant ses dix années de séjour à Chambéry, il ne trouva pas, dans le clergé instruit et pieux de cette ville, un homme dont les entretiens lui aient paru aussi frappans. C’est qu’il avait rencontré les deux premiers dans des temps de détresse ; il avait eu besoin d’eux, et avait été reconnaissant de leur sympathie ; leurs paroles, leurs conseils étaient tombés sur un terrain bien disposé. Plus tard, il était plus difficile et moins ouvert. On remarque aussi qu’il ne nomme jamais un écrivain, un docteur de l’Eglise qui est une des gloires de la Savoie, et dont sans doute il entendit souvent parler : saint François de Sales. Ne l’a-t-il donc pas lu ? Ce n’est pas son vieux langage qui eût rebuté Rousseau : il cite vingt fois Montaigne, qui est d’une époque antérieure. Il faut que ce qui a éloigné Rousseau de l’auteur de l’Introduction à la vie dévote, ce soit justement l’esprit de dévotion du saint évêque. Rousseau avait du respect pour la religion, il n’avait aucun goût pour les pratiques de la piété.

Quand les problèmes philosophiques se posèrent devant lui, quand il eut lu Descartes, Bayle et Voltaire, sa foi et sa raison couraient le risque de se heurter ; mais sa foi était celle d’un bon catholique, répétons-le, et sa raison ne trouva aux Charmettes aucun auxiliaire dans quelque sourd instinct de résistance à l’autorité de l’Eglise, qui fût inné chez le fils des huguenots. Et, à vrai dire, il n’y eut point de choc. Rousseau était laissé à lui-même ; ses idées propres se développaient en lui par une sorte de végétation intérieure, sans qu’aucune autorité inquisitoriale vînt le troubler en lui disant qu’il devenait infidèle à l’Eglise. Six ans plus tard, la foi convaincue de son ami Ignace d’Altuna, et les discussions qu’ils eurent ensemble, le forcèrent à se mettre au clair avec lui-même et à se rendre compte de toute son incrédulité. Aux Charmettes, Rousseau n’était encore qu’un chercheur, et n’allait qu’en tâtonnant ; il essayait ses pas, et se retenait toujours d’une main aux enseignemens de la tradition. « Les écrits de Port-Royal et de l’Oratoire, dit-il, étaient ceux que je lisais le plus fréquemment. » Ainsi ses lectures le plaçaient dans un