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III

Revenons aux Charmettes, où le jeune étudiant élaborait silencieusement ses idées, et essayons de considérer de près son travail. Il s’initiait aux sciences. Nous le voyons prendre en mains un fort bon traité, les Elémens de mathématiques du Père Lamy ; il demande même à son libraire l’Arithmetica universalis de Newton, ouvrage de plus difficile digestion, en même temps que les Récréations mathématiques et physiques d’Ozanam, qui étaient beaucoup mieux à sa portée. On croirait qu’il a abordé le calcul différentiel et intégral, si l’on prenait à la lettre ce qu’il dit dans les vers du Verger :


Avec Kepler, Wallis, Barrow, Reyneau, Pascal,
Je devance Archimède, et je suis L’Hôpital.


Les mathématiciens du XVIIe siècle avaient résolu des problèmes qui eussent arrêté Archimède ; et Jean-Jacques, en épelant quelques-unes de leurs découvertes, a pu s’applaudir de savoir ce que l’illustre géomètre grec avait ignoré. Quant au marquis de L’Hospital, auteur de l’Analyse des infinimens petits pour l’intelligence des lignes courbes, si Rousseau avait voulu « le suivre » dans son explication des nouveaux calculs, il se serait bien vite arrêté en route, puisque la géométrie analytique était déjà trop abstruse pour lui. Toujours est-il qu’à ce moment du XVIIIe siècle, les mathématiques et l’astronomie étaient à la mode. Voltaire venait de publier ses Élémens de la philosophie de Newton, et il écrivait de Cirey maintes lettres à des savans, S’Gravesende, Pitot, Mairan. Le public s’était intéressé aux expéditions scientifiques conduites par Maupertuis sous le cercle polaire, et par La Condamine au Pérou, pour mesurer les degrés de latitude. Rousseau, dans un des morceaux qu’il a écrits aux Charmettes, se représente comme « un homme qui, depuis plusieurs années, attendait impatiemment, avec toute l’Europe, le résultat de ces fameux voyages entrepris par plusieurs membres de l’Académie royale des sciences ; » il lisait, avec avidité, le précis des observations de ces grands hommes, il ébauchait un mémoire sur la sphéricité de la terre ; il a conté dans les Confessions la plaisante anecdote de quelques paysans, qui, le voyant de nuit observer les étoiles dans son jardin, le prirent pour un sorcier, et allèrent s’effrayant, jusqu’au moment où ils furent rassurés par des jésuites. Dans sa vieillesse encore, il se plaisait à cette branche de la science ; et, au moment où il rédigea pour