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feignent de considérer le mysticisme comme une des formes de l’hystérie ; mais justement un des signes distinctifs des mystiques est l’équilibre absolu, l’entier bon sens. De même c’est par erreur ou par malice qu’ils prétendent que les mystiques ont le crâne en pointe : M. Huysmans déclare, après expérience, que plusieurs l’ont aplati. Ailleurs il invoque à l’appui des vérités de la foi telles preuves dont on ne s’était pas encore avisé ; et par exemple, il prouve la présence réelle par le spiritisme. C’est ainsi que M. Valabrègue découvrait dans l’usage de la bicyclette un argument en faveur de l’Église. Il n’est que d’avoir l’esprit tourné vers une savante interprétation du dogme. Le grand service que rend M. Huysmans à ses lecteurs c’est de mettre à leur portée des auteurs généralement peu connus du public mondain. Il a recensé à leur intention tous les écrivains qui exposent les principes et les théories de la Mystique : saint Denys l’Aréopagite, saint Bonaventure, Hugues et Richard de Saint-Victor, saint Thomas d’Aquin, saint Bernard, Angèle de Foligno, les deux Eckhart, Tauler, Suso, Denys le Chartreux, sainte Hildegarde, sainte Catherine de Gênes, sainte Catherine de Sienne, sainte Madeleine de Pazzi, sainte Thérèse, sainte Gertrude et sainte Mechtilde. J’en passe. Il a étudié surtout Ruysbrœck l’Admirable, qu’a traduit Hello et que Mæterlinck a obscurci. Voilà des ouvrages qu’on demande peu chez Flammarion et dont les cabinets de lecture sont mal approvisionnés. M. Huysmans se les est assimilés. Grâce à lui la pensée des cénobites et des voyans s’en va, émigrée du cloître et des in-folio, habiter nos âmes indignes de journalistes, de gens de club et de gens de salon.

Ce qui nous détourne ordinairement de lire les livres de piété, c’en est d’abord le style. Vies de saints, essais d’histoire, traités de dogme, ils sont tous écrits d’un même style uniforme et douceâtre dont la fadeur nous dégoûte. Il y traîne une écœurante odeur de sacristie ; rien n’y arrive des parfums du siècle. Cela est sans couleur et sans relief ; point d’imprévu, nulle gaîté. Avec M. Huysmans on n’a pas cet inconvénient à redouter. Son livre tranche violemment par le ton sur la littérature habituelle des librairies de la rue Saint-Sulpice. Il y est parlé couramment du « chlore des prières », du « sublimé des sacremens », du « tournebroche des chapelets », du « bouillon de veau pieux » des homélies, de la« graisse et de la vaseline » de l’éloquence sacrée, et du clergé séculier qui est la « lavasse des séminaires ». La musique qu’on fait dans les églises a tout particulièrement le don de mettre M. Huysmans en fureur et en verve. Pour nous en montrer le caractère profane il a des trouvailles de mots d’une impayable drôlerie : « Après le Kyrie eleison et les invocations du début, la Vierge » entrait en scène comme une ballerine sur une mesure de danse… C’était, autour d’un harmonium enrhumé, une troupe de jeunes et de