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l’époque où il était au pouvoir de la démoniaque Mme Chantelouve. Il franchit de nouvelles étapes. Il se confesse. Il communie. Il se pénètre de plus en plus de l’atmosphère de sainteté qui l’entoure. Et un beau matin il se surprend travaillé d’une envie folle d’injurier grossièrement la Vierge, de l’invectiver en langage de roulier. En vérité, son cœur est pareil à un puits d’ordures : mises en mouvement et troublées par les idées pieuses, elles remontent du fond où elles reposaient et elles affleurent. Tel est chez Durtal le mécanisme de la conversion. Au moment où la sensualité défaillante a besoin de l’excitation cérébrale, c’est alors que le mysticisme intervient. Il opère à la manière d’un adjuvant.

La conversion de Durtal nous devient à mesure moins inintelligible, et nous commençons à voir clair dans son « cas ». Au moment de quitter la Trappe, le héros de M. Huysmans se lamente sur son triste sort : « Je suis à jamais fichu ! » s’écrie-t-il, car, lorsqu’il s’agit de converser avec soi-même, à quoi bon recourir aux conventions du style noble ? « Me voici condamné à vivre dépareillé, car je suis encore trop homme de lettres pour faire un moine, et je suis cependant déjà trop moine pour rester parmi des gens de lettres. » Homme de lettres il n’a jamais cessé de l’être ; et il l’est à la façon dont l’entendent les Goncourt, qui définissent la littérature : un état violent. Ce qu’il cherche au moment où des lèvres il murmure le nom du Seigneur, ce sont des sensations nouvelles et des sensations rares. Tandis qu’il avance dans la série des exercices pieux, il s’observe et s’interroge pour savoir s’il a reçu la commotion qu’il attendait. La confession lui est un drame et qui tient toutes les promesses qu’il s’en était faites. Mais la communion le déçoit. Il en espérait mieux. La maladie des scrupules, bien connue dans les couvens, lui apporte des jouissances appréciables. Puis ce sont les sécheresses d’âme, les désespoirs du pécheur qui se croit abandonné, enfin les affres d’une agonie morale qui le torture délicieusement. Voilà justement ce qui l’avait attiré vers le cloître. Il n’a eu garde, dans ce retour vers Dieu, de suivre les voies ordinaires. La dévotion aisée n’avait rien pour le tenter. Qu’est-ce que la piété sans ses angoisses et la foi sans les extases ? Il a laissé aux âmes peu exigeantes le catholicisme pratique, si bénin et si doux. Il a été tout droit à la mystique et aux périlleuses doctrines d’un christianisme surélevé. Car sans doute, entre les jouissances qu’il a été donné à l’homme de connaître, celles de l’ascète et du saint dépassent toutes les autres. Qu’on imagine le calvaire intérieur de la carmélite prenant à son compte tous les péchés de l’humanité, et quelles pointes doivent faire saigner son cœur repentant des fautes qu’elle n’a pas commises ! Qu’on imagine, si toutefois l’imagination ne s’y refuse pas, les joies de l’extatique conversant avec son Dieu ! Quelle intensité dans la