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n’a qu’une pente, il descend régulièrement vers les tempes, de sorte qu’aucune partie de l’arc ne dépasse le point « l’attache près du nez : signe de gravité et de volonté. Chez nous, il est presque toujours aigu en son milieu, ironique, batailleur, spirituel et léger.


— On m’avait bien recommandé d’aller, an café de la Pez, voir les danses et entendre les chants populaires. J’y suis allé. C’est, dans une rue borgne, un café aveugle, on il doit faire nuit en plein jour, bas d’étage, enfumé, dont les becs de gaz se mirent dans des glaces suintantes. De neuf heures à minuit, des filles fardées, velues de pauvres robes voyantes, crient tour à tour des paroles d’amour désespéré, sur des airs qui commencent dans les hauteurs de la voix, pour tomber en cascade jusqu’aux profondeurs du contralto ; ou bien elles se tordent et se déhanchent, au rythme des ohé ! ohé ! poussés par les autres femmes et par des messieurs à casquettes de soie, assis en rond au fond de l’estrade.

Les spectateurs, la bohème assez sombre de Madrid, applaudissaient en jetant, sur le marbre des tables, les soucoupes de métal où pyramident, les trois morceaux de sucre. L’unique compensation à cette vulgarité du spectacle et de la salle, consistait dans l’incroyable tristesse de ce divertissement. Les mélopées se traînaient, lamentables, et finissaient en l’air, sur une note boiteuse. Je pensais que l’Orient était là, le génie des peuples du Midi, qui pleurent dès qu’ils chantent. J’étais même un peu emballé dans cette voie de rêverie. Au moment où je sortais, je croisai, dans un couloir, une des danseuses, qui me demanda pourquoi je m’en allais. Je lui répondis qu’elle dansait bien.

— Alors, fit-elle en riant, bonsoir, monsieur !

— Vous parlez français ?

— Parbleu ! Mais j’ai dansé au Casino de Paris !…

Et les étrangers continueront d’être introduits, avec précaution, au café de la Pez, pour y voir ce qui reste de la couleur locale et de l’Espagne primitive…


— La reine régente ne sera pas de retour à Madrid avant la fin du mois. J’espère avoir l’honneur de lui être présenté, lorsque je reviendrai d’Andalousie. J’ai fait, à cette intention, quelques visites, et, au cours de l’une d’elles, un homme d’État espagnol m’a longuement parlé de Marie-Christine.

« Vous l’admirez, m’a-t-il dit, et votre admiration serait plus vive encore si vous saviez toutes les difficultés que cette femme extraordinaire a pu vaincre ou tourner. C’est une question que j’ai étudiée de près, à laquelle le hasard de la vie politique m’a