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nouvel arrangement satisfait tout le monde, y compris le gros Silène » acolyte et confident de Bacchus, conseiller d’optimisme et de philosophie, dont le rire éclate tout le long de cette tragi-comédie.

S’il y a parfois dans Ariane un peu de la Belle Hélène, c’est dans le livret seulement. La musique ne porte pas trace de parodie ; elle annonce Gluck et non Offenbach. Elle l’annonce, et plus d’une fois elle l’égale. Elle l’égale par la force, par la grandeur, par la vérité sommaire et saisissante de l’expression. Je sais une plainte d’Ariane : Come mai puoi — Veder mi piangere ? que les plaintes d’Alceste ne dépasseront guère. Il serait intéressant et facile de réinstrumenter cette page, et deux ou trois timbres choisis : une flûte grecque, un hautbois gémissant, un cor mystérieux, envelopperaient sans l’étouffer la magnifique mélodie. La voilà, l’Ariane antique, celle du musée du Vatican, celle de Racine,

Ariane aux rochers contant ses injustices.

La phrase du musicien est aussi belle que le vers du poète, et de la même beauté sobre et forte, sans épithète et sans ornement.

De Silène aussi deux airs sont admirables : l’un où le dieu goguenard s’émerveille de voir son maître si facile à la tentation d’amour :

E piu tenace
Di vischio o rete,
Il crine, il guardo
D’una belta.

« Plus tenace — Que la glu ou le lacet — Est le cheveu, le regard — D’une beauté ! » Le chant est superbe d’ironie. Sur lui tombe et retombe en avalanche un trait de violons foudroyant. Au-dessous grondent en tierces les basses moqueuses. A leur place, imaginez des bassons : voilà tout ce qu’un maître moderne, le Verdi de Falstaff par exemple, ajouterait peut-être, pour le rajeunir, à ce vieux fond du génie italien, à ce chef-d’œuvre de vérité et de vie.

Même carrure, même grandeur héroï-comique dans un autre air de Silène vantant à Ariane les exploits de son maître, le Bacchus indien :

Nel paese ove il sol esce fuora,
Migliaia d’uomini
Col forte braccio
Fece in pezzi, abbattè, sconquassò.

« Au pays où le soleil se lève, — Des milliers d’hommes — Par sa forte main — Ont été mis en pièces, abattus, écrasés. » Tandis