Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/661

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compatriotes attachent trop d’importance au charme physique, aux qualités extérieures de l’acteur. Elle essayait de montrer dans cette nouvelle que ces qualités ne suffisent pas pour constituer le vrai talent et qu’il faut compléter, développer ces dons naturels par une étude intelligente des chefs-d’œuvre du théâtre — et tout particulièrement du théâtre français.

La famille Arnold, l’Université d’Oxford, la société lettrée et aristocratique de Londres, tels sont les milieux où a pris naissance et où a grandi le talent de Mme Humphry Ward. C’est de là qu’avec sa chaude imagination et sa faculté d’observation elle a tiré ses principaux caractères ; c’est là qu’elle a fait une ample provision d’idées morales et religieuses et qu’elle s’est exercée à rendre sa pensée dans un style à la fois précis et souple. Il ne lui restait plus qu’à choisir, entre toutes ses richesses, des sujets actuels et des types bien vivans.


II

L’idée maîtresse, la préoccupation constante de Mme Ward dans ses trois principaux romans, c’est de porter remède aux souffrances morales et matérielles de notre temps. Elle a suivi de près, à Oxford et à Londres, les effets douloureux, les déchiremens ou les bouleversemens produits par les doutes de la foi, par la lutte pour l’existence et par les crises du travail, et elle a été prise d’une immense pitié pour les victimes de ces luttes. Or, à son avis, ces maux ne peuvent être guéris par les doctrines traditionnelles ou par les institutions charitables des églises ; car les vieux dogmes ont fait leur temps, ils sont en contradiction avec les découvertes de la science moderne, ils sont impuissans à satisfaire les besoins de l’intelligence. On ne peut plus croire au surnaturel ; et même le doute à l’égard du miracle est moins une révolte de la raison qu’une protestation de la conscience et de la foi. Les procédés de la charité ecclésiastique sont aussi tout à fait insuffisans ; ce n’est pas en distribuant des secours aux indigens et aux malades, à condition qu’ils participent aux sacremens ou aux offices du culte, que l’on guérira les plaies de la société contemporaine. Faut-il donc alors renoncer à toute croyance religieuse ? Trouverons-nous l’apaisement de nos angoisses dans la philosophie positive ou séculariste, comme on l’appelle en Angleterre ? Pas davantage, car celle-ci ne tient compte ni de notre inclination au vice, de ce péché inhérent à notre nature qui est la principale source de nos maux ; ni de cette curiosité ; du mystère, de cette aspiration vers l’invisible et l’éternel, qui est le