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convenable pour y bâtir le nouvel University Hall. Qu’on recueille encore trois fois autant d’argent, — ce qui ne me paraît pas douteux, étant donné les élans de libéralité des Anglais toutes les fois qu’il s’agit d’institutions scolaires ou philanthropiques, — et l’œuvre sociale et religieuse de Mme Humphry Ward aura reçu sa consécration définitive.

Et maintenant que nous avons passé en revue sa vie et son activité missionnaire auprès des ouvriers de Londres, revenons à ses livres et essayons d’en apprécier les qualités et les défauts. Nous n’insisterons pas sur la longueur excessive de ses ouvrages, la surabondance des personnages, les digressions ou hors-d’œuvre ; mais nous signalerons la cause principale de ces longueurs, qui est dans la tendance de l’auteur à se servir de la forme du roman pour soutenir des thèses dogmatiques et engager des controverses politiques ou religieuses. C’est là, à notre point de vue, son défaut capital. Ce que nous demandons en effet d’abord à un roman, c’est la description de caractères pris dans la vie réelle, le jeu et parfois le conflit des sentimens et des passions qui parlent à notre imagination et émeuvent notre cœur. Or les sentimens, l’amour entre autres, jouent un rôle assez effacé dans les livres de Mme Ward ; le débat a lieu surtout entre des idées, entre des croyances plus ou moins abstraites. De sorte que ses ouvrages ressemblent plus à des études de critique religieuse ou de philosophie sociale qu’à des romans de caractère.

Que si, à la rigueur, on admettait ce genre assez étranger au goût français, le roman de doctrine, il faudrait au moins, comme l’ont fait Fielding et George Eliot, en éliminer tout ce qui sent la leçon, le sermon. L’art et l’idée morale ou religieuse devraient être si habilement fondus ensemble, que le lecteur ne pût soupçonner chez l’auteur l’intention de le convertir à telle ou telle opinion. L’impression morale doit se dégager du jeu et du sort même des personnages. Or c’est ce que Mme Ward n’a pas suffisamment réalisé dans ses deux premiers romans : on y entend trop de sermons, d’ailleurs fort peu orthodoxes ; et on n’y trouve pas assez de cette morale en acte qui résulte des événemens. Notons pourtant un progrès sensible de Robert Elsmere à David Grieve et de ce dernier à Marcella. Le ton de Marcella est beaucoup moins dogmatique, les caractères plus humains et plus vivans, les péripéties amenées avec plus d’art, il y a peu ou point de dissertation religieuse. Que Mme Ward se corrige tout à fait de cette tendance à l’homélie, — comme elle s’en était si bien gardée dans Miss Bretherton ; qu’elle élague courageusement la ramure trop touffue de ses romans ; et alors elle méritera sans réserve les éloges que