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décision de principe dans ces deux questions. M. de Lanessan a opté nettement pour les solutions conservatrices. Selon lui, il est impossible de trouver dans le Delta un personnel administratif en dehors des lettrés ; ces fonctionnaires nous offrent plus de garanties que les notables des villages ; nonobstant leurs défauts la population les respecte. L’écrivain entre à ce sujet dans quelques considérations d’ordre historique et philosophique : nous y reviendrons avant de quitter son livre.

D’autre part, il n’admet pas qu’il existe un particularisme tonkinois. Il n’y a pour lui qu’une nation annamite, des provinces agrégées par l’identité de race et de mœurs d’un bout à l’autre de la péninsule ; la reconstitution du royaume d’Annam sous notre protectorat lui paraît désirable. M. de Lanessan vante les fruits de cette politique : les régens ont quitté leurs préventions et leurs rancunes vindicatives ; ils ont prêté au gouverneur un concours loyal ; ce sera désormais notre faute si nous ne vivons pas en bons termes avec les Excellences annamites, avec un peuple qu’elles instruiront dans l’obéissance et le respect du nom français. — Puisse notre auteur ne pas se tromper ! Il y a des circonvolutions si compliquées dans les lobes de ces cervelles asiatiques ! Et tant de chances d’erreur dans les rapprochemens qu’on en fait d’après les classifications de races ! Au-dessous de cette même péninsule Indo-Chinoise, les îles Andaman nourrissent une tribu d’un type très particulier, les Mincopi. J’ai lu quelque part que les craniologistes de l’Ethnological Society avaient relevé sur des crânes de Mincopi certains caractères spécifiques du plus haut intérêt : ils en tirèrent des conclusions sur la race. Malheureusement, on apprit plus tard que les pièces d’étude expédiées des îles Andaman étaient des têtes de criminels anglais morts dans le pénitencier de Port-Blair. L’ethnographie n’échappe pas aux petites banqueroutes.

Les plus grosses questions indigènes ainsi réglées, le gouverneur s’efforça de développer la prospérité de la colonie et d’encourager les industries françaises. On n’y pouvait réussir qu’en faisant fléchir certaines formalités administratives et financières. S’astreindre en Indo-Chine aux prescriptions tutélaires qui guident nos préfectures dans la confection d’un cahier des charges, dans la concession ou l’adjudication d’un travail, ce serait livrer de parti délibéré la colonie aux Chinois. Le Chinois a de l’argent à très bon compte, des signatures de garantie tant qu’il en veut ; il soumissionne toutes les adjudications au plus bas prix ; si l’affaire cesse de lui paraître avantageuse, il prend le premier bateau pour Hong-Kong : plus de Chinois ! Le Français paie l’argent 10 pour 100 à la Banque de l’Indo-Chine ; il a dû supporter