Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

500 kilomètres de frontière chinoise, le triangle accidenté inscrit entre cette frontière, la Rivière-Claire, Tuyen-Quan et Lang-Son ; contrée montagneuse, forestière, pauvrement peuplée. L’officier nous décrit les tribus qui l’habitent, les Thos, les Nuns, les Mans, races plus rudes et moins maniables que l’Annamite. Il croit néanmoins que cette région réserve à la colonisation de belles récompenses.

Le commandant a occupé les loisirs de Lang-Son en étudiant les mœurs et les institutions de ses voisins chinois. Il y a beaucoup à prendre dans cette partie de son livre ; et si l’Annamite, comme le croit M. de Lanessan, n’est autre chose qu’un Chinois rapetissé, on peut fondre ensemble les observations du gouverneur et celles de l’officier : ils aboutissent d’ailleurs aux mêmes conclusions. Elles fourniraient aisément la matière d’un petit traité, sous cette rubrique que l’on attribuerait de confiance à l’un de nos modernes savans, et qui est le titre du deuxième livre de Confucius : De l’invariabilité dans le milieu.


II

On l’a plus d’une fois remarqué ici même : les philosophes et les économistes du XVIIIe siècle étaient hantés par l’idée de la Chine. Ils en tiraient à tout propos des exemples, des préceptes, — et des anecdotes libertines. Voltaire en tira même une tragédie, qui est mortelle. Nous croyons voir les raisons de cet engouement. Les gens du XVIIIe siècle lisaient beaucoup les jésuites, qu’ils n’aimaient guère. Or la Chine était le champ d’études préféré des jésuites : ces Pères en ont donné des relations où nous puisons aujourd’hui encore toute notre érudition ; la science contemporaine, occupée ailleurs, n’a pas beaucoup ajouté à leurs recherches. Les philosophes goûtaient fort ces relations, parce qu’ils y trouvaient précisément ce qui pouvait le plus contrister les jésuites : la preuve qu’il existait un grand peuple, fameux dans l’histoire, parfaitement étranger aux tourmens de l’âme chrétienne, et plus généralement à tous les principes que les Encyclopédistes s’efforçaient de ruiner ; un peuple positiviste, sceptique, démocrate, ennemi des privilèges de la naissance, aussi peu militaire que possible, uniquement sensible au savoir, aux lettres, à la raison pure, — et polygame par surcroît, ce qui ne gâte rien ; bref, le plus proche de l’idéal vers lequel nos guides intellectuels orientaient les esprits qu’ils entendaient réformer. Quand un philosophe avait dit de quelque proposition politique ou sociale : « C’est une maxime à la Chine… » on sentait chez