Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

missions au dehors. Les sentimens les plus respectables et les plus profonds se trouvaient ici en cause, la pitié humaine, le patriotisme. Les biens que les congrégations emploient, non pas à un but où l’on pourrait démêler un intérêt personnel, même très noble et très généreux, mais à des œuvres charitables ou au développement de notre influence au dehors, échapperont désormais à la taxe. C’est un grand point : il suffirait à sauver la loi du discrédit qu’on cherche à jeter sur elle. Il y a longtemps que cette réforme était demandée, sans avoir pu jusqu’ici être obtenue. Elle l’est enfin, grâce à l’initiative parlementaire. Le gouvernement a laissé à M. Clausel de Coussergues l’honneur de la proposer : il s’est contenté pour son compte de dire qu’il ne s’y opposait pas, et qu’il reconnaissait qu’un grand mouvement d’opinion s’était dessiné dans ce sens. Cette indication suffisait : la Chambre n’a pas hésité à voter l’exemption. Ceux-là seuls ont pu la repousser qui croient que la charité n’est pas bonne en elle-même, mais seulement d’après celui qui l’administre, et qui aiment mieux laisser un malheureux mourir de faim, de froid ou de maladie, que de le laisser secouru : par une main qui ne serait pas purement laïque. On voit tous les jours que ceux qui souffrent ne sont pas de cet avis. L’État, quelle que soit sa bonne volonté, ne peut pas subvenir à toutes les misères. Il ne peut pas non plus, dans les étroites conditions du budget, suffire à l’entretien et au développement de toutes nos missions au dehors. Prélever, puiser un lourd impôt d’accroissement à la source où s’alimentent ces œuvres fécondes, au risque de la tarir, est un véritable non-sens : assez d’autres taxes contribuent déjà à en diminuer l’expansion. Sans doute des fraudes peuvent être commises, car le désintéressement personnel et le dévouement à une œuvre de sacrifice poussé jusqu’à la mort s’allient quelquefois avec de certaines tricheries à l’égard du fisc ; mais des précautions seront prises contre ce danger, et nous ne nous plaindrons pas, sur ce point, des exigences de l’administration. Ce qui provoquerait une critique beaucoup plus juste, c’est l’attribution que le gouvernement s’est adjugée à lui-même et à lui seul, du droit de régler les contestations qui s’élèveraient entre les congrégations et l’enregistrement. On aurait pu admettre que ces contestations fussent déférées aux tribunaux administratifs, mais n’est-il pas excessif d’en laisser le règlement au bon plaisir ministériel, même sous le contrôle des Chambres ? Les majorités parlementaires sont mobiles, les ministères le sont encore davantage, ce qui a l’air d’un paradoxe, mais n’en est pas moins certain. N’est-il pas à craindre qu’il ne s’établisse sur la matière la jurisprudence la plus contradictoire, la plus confuse, la plus capricieuse, la plus fantaisiste, la plus fantastique même qu’on ait jamais vue ? La loi qui va sortir de la délibération des Chambres ne sera donc pas parfaite ; non certes, et nous n’en aurons pas fini avec la question ; mais il y aura une amélioration notable sur le passé. Ce