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colonel. Le maréchal Martinez Campos a cru sans doute qu’il fallait céder sur un point pour mieux résister sur les autres ; mais s’il y avait là une nécessité du moment, ce n’est pas M. Sagasta qui pouvait s’y résigner. La reine-régente a fait appeler le chef du parti conservateur. M. Canovas del Castillo, lui aussi, a insisté pour que M. Sagasta revînt aux affaires. Était-il tout à fait sincère ? Voulait-il échapper à la responsabilité de dénouer la crise présente et de diriger l’expédition de Cuba ? Assurément, le pouvoir ne se présentait pas à lui dans des conditions engageantes. Toutefois M. Canovas ne pouvait pas se faire d’illusions sur la réponse de M. Sagasta. Un gouvernement qui a démissionné devant une émeute militaire n’a plus la force indispensable à l’exercice du pouvoir, et il l’aurait eue moins encore après une capitulation de principes. M. Sagasta s’est donc retiré, et il a bien fait. M. Canovas l’a remplacé, et il a bien fait aussi. La constitution d’un ministère conservateur était la seule solution que la crise comportait.

M. Canovas del Castillo est un des hommes les plus distingués et les plus spirituels de l’Espagne : il aura besoin de toute son intelligence et de toute son habileté pour réussir dans la tâche qu’il a courageusement acceptée. L’état moral de l’armée a repris un caractère inquiétant. Déjà, il y a quelques mois, un général a donné un soufflet à l’ambassadeur du Maroc au moment même où celui-ci se rendait officiellement à l’audience de la reine. Et, soit dit en passant, le métier d’ambassadeur extraordinaire devient bien dangereux avec les mœurs nouvelles. A l’autre bout du monde, au Japon, Li-Hung-Chang, à peine débarqué, a reçu en pleine figure une balle de pistolet qui met ses jours en péril. On aime à croire que ce sont là des actes isolés, dûs à un fanatisme individuel, peut-être à la folie ; mais, en Espagne, d’autres faits se sont produits qui jettent un jour inquiétant sur la surexcitation, ou plutôt sur la perversion de l’esprit militaire parmi les officiers. C’est là un mal auquel il faut appliquer des remèdes énergiques et rapides. Le premier acte du nouveau ministère devrait être, semble-t-il, de réviser la loi sur les engagemens volontaires et de favoriser par tous les moyens possibles ceux des officiers dans le corps expéditionnaire de Cuba. L’expédition qui se prépare agirait alors comme une soupape de sûreté qui laisserait s’écouler au dehors le trop-plein d’activité dont les rues de Madrid viennent d’être agitées. Et tout le monde y gagnerait.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.