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disciples fidèles de Frédéric II. Elle tranchait ainsi brusquement la querelle, qui s’éternisait sans aboutir. Elle faisait pencher la balance du côté où elle inclinait depuis longtemps en fermant la discussion sans autre forme de procès par la suppression des contradicteurs. Il ne restait aux armées que les officiers subalternes ou d’anciens sous-officiers vieillis sous les armes, tous depuis longtemps acquis aux idées de la tactique du choc. En dépit de l’ordonnance de 1791, que personne ne songea à refondre parce que personne n’eut l’idée de l’appliquer, l’ordre profond fut désormais le seul en usage. C’est lui qui assura le succès des armées de la République ; c’est de son application que Napoléon sut tirer ses plus brillantes victoires.

« La querelle qui avait divisé pendant vingt ans les partisans de Dumesnil-Durand et les admirateurs de la tactique prussienne fut vidée sur les champs de bataille d’Austerlitz et d’Iéna, et cela contre les principes du règlement de 1791. » Telle est la conclusion à laquelle aboutissait le général Renard, il y a trente-cinq ans, lorsqu’il eut le premier l’idée de fouiller dans le passé de la tactique française. Rien n’est venu la démentir.


II

Le triomphe de la tactique française fut écrasant. Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, consacrèrent l’ordre profond. Toutes les armées de l’Europe en éprouvèrent successivement la valeur et l’imitèrent, l’Angleterre exceptée.

Rien de plus simple et de plus pratique que ce procédé de combat, applicable à tous les terrains et à toutes les situations, malléable au gré de toutes les circonstances. Epais rideau de tirailleurs sur le front ; en arrière, à l’abri des coups et des vues de l’ennemi, une série de petites colonnes assez légères pour être facilement maniées en tous sens, voilà le dispositif préparatoire. Sur les points où il faudra attaquer, ces colonnes s’élanceront résolument sur l’ennemi pour le charger ; sur ceux, au contraire, où il s’agira de repousser une attaque, les colonnes se déploieront lestement et présenteront à l’adversaire une ligne en bel ordre qui le fusillera à petite portée.

Toute la tactique française tenait dans ce jeu alternatif des colonnes et des lignes, toujours précédées, entourées, suivies de leurs nombreux tirailleurs ; mais, entendons-nous bien, c’était la tactique de fait, la pratique constante de nos armées depuis les premières guerres de la Révolution et pendant tout l’Empire, ce n’était pas la tactique officielle. Celle-ci en était