Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus la régularité de son tir et lui fera perdre sa supériorité naturelle ; c’est le mouvement en avant qui prouvera matériellement, physiquement, au défenseur que son feu, quelque puissant qu’il paraisse, est réellement impuissant à arrêter l’assaillant. L’homme ne sera jamais une simple machine à lancer des projectiles : c’est un être doué de sentimens, d’instincts, de raison. Avant tout, c’est sur sa raison, son instinct, ses sentimens, qu’il faut agir, et le mouvement en avant en est le plus sûr moyen.

L’attaque doit se mouvoir ; son mouvement doit être soutenu, sinon continu, interrompu seulement des arrêts indispensables pour laisser l’homme reprendre haleine et lui permettre surtout de répondre un moment au feu de la défense et de préparer ainsi la reprise de la marche en avant. L’assaillant parviendra ainsi, par des bonds successifs aussi rapides, mais aussi peu nombreux que possible, à distance décisive ; et, utilisant dans un suprême élan la supériorité morale que son mouvement lui aura acquise, il produira la crise finale qui délogera brusquement la défense de sa position, et l’en chassera bien avant qu’elle ait songé à l’abandonner volontairement elle-même.

Le mouvement en avant conduit à la charge, il contient le choc en puissance. Qu’importe que dans le fait la charge à la baïonnette ne soit que rarement complète, qu’elle n’aboutisse qu’exceptionnellement au vrai combat corps à corps, que presque toujours le défenseur se dérobe au dernier moment aux conséquences de cette lutte suprême ? Le choc n’en reste pas moins la fin dernière de l’attaque. Il est nécessaire pour réussir, et lui-même ne saurait réussir que s’il se produit avec assez de résolution, d’impétuosité, de vigueur, pour convaincre le défenseur que la fuite est le seul moyen de l’éviter. Ce n’est pas une simple fusillade, quelque violente qu’elle soit, ces tireries sans fin que Maurice de Saxe condamnait déjà au siècle dernier, qui feront passer cette conviction dans l’âme du défenseur.

Le feu dans la défensive est tout, ou presque tout. C’est lui qui désagrège la masse assaillante jusqu’à la dispersion, qui diminue son impulsion jusqu’à l’arrêt : il atteint directement le principe même de la puissance du choc, la masse et la vitesse. Mais dans l’offensive, quelque indispensable qu’il soit, il n’est qu’un auxiliaire. Il porte le trouble dans les rangs de la défense, et l’oblige à se disséminer, à se cacher, à répartir ses forces en nombreux échelons, et il empêche les diverses pièces de l’ordre de combat, dont le jeu est si adroitement et si étroitement combiné, d’agir avec à-propos, et de se soutenir mutuellement. En décimant les rangs, en supprimant les chefs, en frappant précisément ceux que leur courage appelle au premier rang, il abat les