Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/825

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’importantes fonctions et entouré de l’estime générale. Rien n’est plus curieux que l’histoire de cet ancien esclave, échappé d’une plantation du Sud : il gagna l’Angleterre, y acquit toutes les connaissances dont on ne lui avait pas donné les premiers élémens, puisque vingt-trois ans il ne savait pas lire, et, rentré dans son pays, s’y révéla orateur éminent, n’employant ses dons d’éloquence et de persuasion que pour des causes justes. Il ne fut pas facile de calmer, après la guerre, l’effervescence des nègres frustrés des droits politiques et autres qu’on leur avait imprudemment promis, punis pour des abus inévitables, maltraités, volés, décimés par leurs prétendus sauveurs. Frédéric Douglass ne cessa d’agir dans un esprit de conciliation, fut chargé de missions délicates dont il s’acquitta toujours avec honneur, devint ministre à Haïti et, jusqu’à la fin d’une longue carrière, mérita d’être considéré par tous les partis.

Voici quelques-uns des sujets traités en cette séance du club : découverte de tombes indiennes ; — les origines du langage ; — « l’origine de l’attention chez les enfans. — Une jolie jeune fille propose quelques réformes à introduire dans les hôpitaux de Washington. On discute sans aucun emportement, à propos de la misère des nègres, leurs qualités et leurs vices héréditaires. Une dame signale l’indifférence de certaines négresses qui déposent leurs enfans à l’hospice de la maternité, sans même se retourner pour savoir ce qu’ils deviennent ensuite. Une autre cite en revanche les villes du Sud où elle a vu des blancs envoyer dans les fabriques, pour y peiner du matin au soir, des enfans de sept ans, pendant que les petits nègres s’en allaient à l’école, leurs parens se privant du gain qu’ils pouvaient attendre d’eux afin de leur assurer le bienfait de l’instruction. Des exemples fournis et comparés, il résulte que l’état moral de la population noire serait, à Washington, pire que partout ailleurs, ce qui n’est pas surprenant, car le rebut de la Caroline est arrivé derrière les armées de Sherman, des êtres abjects ne parlant qu’un patois inintelligible. On en rencontre encore à chaque pas les échantillons repoussans. Il y a 70 000 nègres à Washington et les conclusions du Club sont celles-ci : tâcher d’obtenir, pour les plus pauvres, le balayage des rues ; engager ceux qui vivent dans l’aisance à s’occuper davantage de leurs indigens. Ce n’est pas que la riche société de couleur manque de charité, tout au contraire, mais les œuvres ne s’organisent pas parmi elle : l’absence d’organisation en général est, jusqu’à nouvel ordre, un signe révélateur de la race.

Ils ne sont ni haineux, ni méchans, les pauvres nègres déguenillés et affamés de Washington. Je me rappelle toujours l’air