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aussi sont bien bas. Ils gardent le silence morne et patient de la bête blessée. Une petite fille de leur race, une bambine de trois ans, ravissante statuette de bronze, joue dans une des salles de convalescence réservées aux femmes, courant et gambadant du droit que s’arroge à tout âge la beauté, quelle que soit sa couleur, de faire ce que bon lui semble.

Combien sont-elles blanches et claires ces vastes salles attiédies à l’eau chaude, ventilées d’après les plus savantes méthodes ! De grandes plantes vertes les décorent, égayant les yeux des malades, et sur la terrasse se promènent, roulées dans de petites voitures, des femmes pâles encore, mais à demi guéries. La vue s’étend de la magnifique sur Baltimore qui, avec les toits plats et rouges de ses maisons peu élevées, les dômes et les flèches de ses monumens, son doux climat et ses jardins, fait penser un peu, embrassé ainsi de loin et d’en haut, à l’Italie. Il doit être moins pénible de souffrir et de mourir ici qu’ailleurs. Jamais je n’aurais cru qu’un hôpital pût avoir autant de charme : c’est le seul mot à employer pour rendre l’effet qu’il a produit sur moi, si riant, si ensoleillé, si largement ouvert à toutes les meilleures influences, influences religieuses comprises, car feu Johns Hopkins, s’il était quaker par les beaux côtés, ne l’était pas par l’étroitesse. Les ministres de tous les cultes sont admis librement dans la maison. Quoi contraste avec l’intolérance d’un philanthrope libre penseur, d’origine française, hélas ! Stephen Girard, qui, fondant à Philadelphie, sur une échelle énorme et magnifique, sa maison des orphelins, en défendit l’accès à aucun prêtre, d’aucune confession que ce fût ! Du reste, l’impiété n’y règne pas pour cela : ce sont des laïques qui instruisent les écoliers dans les choses divines. Je n’ai cessé, durant mon séjour en Amérique, de constater avec une surprise ravie combien harmonieusement le double élément laïque et religieux concourait aux mêmes résultats. Ces mots qu’on entend souvent chez nous lorsqu’il s’agit de se donner, en dehors des congrégations établies, à un ministère quelconque : « Il y a des prêtres, il y a des religieuses pour cela, » ne sont jamais prononcés ; l’initiative privée est infatigable en matière de bonnes œuvres, et les églises n’en prennent point ombrage ; elles s’accommodent de toutes les collaborations, sans que le désir de primer, d’accaparer, se manifeste d’un côté ni de l’autre. Longtemps je me suis demandé si cette tolérance était spéciale aux églises protestantes ; ceux de mes lecteurs qui m’ont suivie jusqu’ici auront deviné, — car cela se reconnaît pour ainsi dire à l’accent, — que toutes les organisations féminines si indépendantes dont je leur ai parlé, relevaient du protestantisme. Les