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III

La Turquie a traversé une situation analogue à celle où la Grèce se trouve aujourd’hui : elle en est brillamment sortie. Elle avait fait une faillite retentissante, et les pertes infligées par elle à ses créanciers se chiffraient, non par centaines de millions, mais par milliards. Aujourd’hui cependant le crédit de l’Empire ottoman est considéré comme de premier ordre : les fonds publics et les valeurs garanties par l’Etat se capitalisent à un taux qui varie entre 3 1/2 et 4 1/2 pour 100. La régularité des paiemens est absolue et la sécurité du gage paraît hors de contestation.

Comment s’est opéré ce revirement ? La Turquie a traité avec ses créanciers. Elle a obtenu, naturellement, une réduction considérable sur les intérêts de sa dette, qu’elle était dans l’impossibilité matérielle de payer intégralement. Pour la partie dont elle a garanti le paiement, aussi bien que pour les plus-values éventuelles prévues en faveur de ses créanciers, elle a consenti à se dessaisir des droits de gestion qui lui appartenaient. Elle s’est mise en tutelle. Elle laisse administrer par ses créanciers eux-mêmes, ou plus exactement par une commission qui les représente, les revenus qui sont affectés à l’exécution des engagemens pris envers eux.

J’entends dire tout de suite : Pourquoi la Grèce ne suivrait-elle pas cet exemple ? Pourquoi n’accepterait-elle pas le remède héroïque qui a sauvé la Turquie ? Qu’elle consente à la nomination d’une commission analogue à celle qui fonctionne avec tant de succès à Constantinople, qu’elle lui confère les mêmes pouvoirs, et les difficultés disparaîtront comme par enchantement.

Je ne sais si les difficultés disparaîtraient si facilement et si vite : car il resterait encore la question du change, qui est grave, et qui ne peut pas se résoudre par un accord avec les créanciers. Je sais seulement qu’il est chimérique de rêver en Grèce l’établissement d’une commission de contrôle comme dans l’Empire ottoman. Le remède est excellent, mais le malade ne le prendra pas. Questionnez non pas les Grecs, ils vous seraient suspects ; questionnez les étrangers qui résident dans le pays. Tous vous diront : La commission de contrôle, comme en Turquie, c’est une impossibilité ; l’administration d’une partie des revenus de l’État hellénique par des délégués étrangers, c’est une impossibilité. Le gouvernement ottoman est un gouvernement absolu : le gouvernement hellénique est un gouvernement de discussion. A Constantinople vous n’avez à traiter qu’avec le sultan : sa signature ne sera protestée par personne. En Grèce vous avez à compter