Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/951

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une mélancolique pastorale. Puis, de ce prélude, de ce fond de paysage, se détache la douce invitation divine, une série d’appels à la fois douloureux et tendres, appuyés, mais à peine et sans y peser, sur les notes de plus en plus hautes d’accords de plus en plus clairs. Tollite jugum meum, poursuit la voix, qui maintenant glisse, fuit légère, comme pour attester que le joug aussi est léger. Elle passe, la voix agile, à travers les consonances pures, les transparentes harmonies, que le majeur et le mineur éclairent et voilent tour à tour. Puis elle énonce gravement la leçon d’humilité et de douceur : Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Quel mystère est donc caché dans les sons ! Ouvrant un volume de Fénelon trouvé par hasard auprès de ces feuillets de musique, j’y rencontre un commentaire du même texte. Et de l’une et de l’autre méditation, celle du musicien est de beaucoup la plus profonde et la plus belle. Rien de plus touchant que la conclusion par la reprise de la pastorale et du Venite omnes. Jamais aucune voix n’a appelé comme cette voix. Jamais, renversant par un prodige de miséricorde l’ordre de la prière, Dieu n’a plus ardemment supplié l’homme de se laisser aimer, consoler et guérir.

Mais de ces merveilles inconnues voici la plus merveilleuse, et je ne saurais, pour vous la révéler, choisir un meilleur jour que ce lendemain de Pâques où nous sommes. Le Dialogo per la Pascua n’est autre chose que la mise en musique de la rencontre de Marie-Madeleine avec Jésus ressuscité.

« Jésus lui demanda : Femme, pourquoi pleurez-vous ? Elle, pensant que c’était le jardinier, lui répondit : Seigneur, si c’est toi qui l’as enlevé, dis-moi où tu l’as mis, et je l’emporterai.

« Jésus lui dit : Marie. Elle, se retournant, lui dit : Rabboni (ce qui veut dire Maître).

« Jésus lui dit : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père ; mais va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Saint Jean, ch. XX.)

La scène a été écrite par Schütz pour quatre parties vocales dialoguant deux à deux ; les voix du haut naturellement représentent Madeleine, et celles du bas le Christ. Celles-ci d’emblée attaquent une série d’accords interrogateurs. Las ! répondent les voix de femmes, las ! ils ont enlevé le corps du Maître. Ici se dessine une première mélodie. Ce n’est d’abord qu’une plainte basse et sourde, mais qui bientôt commence à monter ; grâce aux imitations des deux parties, elle se rejoint, se dépasse elle-même ; puis elle grossit et s’enfle en clameur de foule comme si maintenant l’humanité tout entière était accourue, et criait d’effroi devant ce tombeau vide de son Sauveur. En même temps, sous le vocero de plus en plus tragique, les voix inférieures s’élèvent aussi, poursuivant leur interrogatoire obstiné, cruel : Femme,