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mélangés. Tant que la paix demeurait douteuse, ils s’accordaient pour la réclamer ; dès qu’elle paraissait possible, les belliqueux élevaient leurs prétentions ; à peine signée, elle leur parut insuffisante. Bonaparte, dirent-ils, s’est trop hâté de conclure ; les victoires de l’armée du Rhin permettaient d’obtenir de plus grands avantages. « Je me livre à la joie que m’inspire la paix rendue à ma patrie, raconte Carnot ; Le Tourneur la partage ; mais les triumvirs rugissent : La Revellière est un tigre ; Reubell pousse de gros soupirs ; Barras, désapprouvant le traité, dit cependant qu’il faudra bien l’accepter », sauf à le qualifier « d’infâme ». Cette épithète s’appliquait, non au principe des indemnités en hommes et au partage des terres, mais à la quantité d’hommes et de terres attribuée à l’Autriche. Cependant les Directeurs tombèrent vite d’accord qu’il fallait aller au plus pressé ; le plus pressé était de satisfaire l’opinion publique, par suite, de ratifier les préliminaires. Ils les ratifièrent donc séance tenante, avec l’arrière-pensée de filer la négociation de manière à tirer de cette convention ce que les articles ne contenaient point ou ne stipulaient qu’obscurément : les frontières naturelles.

La communication faite, le 30 avril, aux Conseils ne mentionna pas les articles secrets, c’est-à-dire le démembrement et le partage de la république de Venise ; quant aux articles patens, elle les enveloppait, à dessein, dans une équivoque : l’empereur, dit le Directoire, renonce à la Belgique, consent à l’indépendance de la Lombardie et « reconnaît les limites telles qu’elles ont été décrétées par les lois de la République ». Le traité se tenait à la lettre des décrets et ne considérait que les décrets dits constitutionnels, c’est-à-dire ceux d’octobre 1795 ; la frontière reconnue embrassait les Pays-Bas, Liège et le Luxembourg. Le public interpréta le message du Directoire selon l’esprit de 1795 ; il y voulut voir la cession de toute la rive gauche du Rhin. La joie déborda : chacun se crut à la veille du succès de son parti. Pour les directoriaux, c’était l’affermissement du Directoire ; pour les modérés, la fin de la guerre et du règne des Jacobins. Tout le monde, d’un même mouvement, acclama Bonaparte, vainqueur de l’Autriche et pacificateur de la République.

Le Directoire trouva qu’on l’acclamait trop. En même temps que le traité, il avait reçu la lettre du 19 avril, par laquelle Bonaparte donnait sa démission et demandait un congé pour revenir en France : « Ma carrière civile sera, comme ma carrière militaire, une et simple, » disait-il. Les Directeurs, estimant qu’il jouait trop au proconsul en Italie, redoutant qu’il ne voulût se découper une sorte de gouvernement indépendant, de