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Si maintenant du fond de l’abîme nous regardons vers les sommets, nous les verrons très hauts et très purs. « Je crois à la communion des saints et à la rémission des péchés. » Le troisième acte de Tannhæuser pourrait porter cette épigraphe, car il n’est que la transposition dans l’ordre de la beauté, la transfiguration par les splendeurs de la poésie et de la musique, de ces deux vérités de la foi. Le double aspect que nous signalions au début : le christianisme et l’intériorité de l’œuvre, se découvre surtout d’ici. Devant Elisabeth à genoux, ensevelie dans ses voiles blancs et dans sa prière, souvenez-vous de ses sœurs, bienfaisantes aussi et protectrices : de l’amie de Robert et de la fiancée de Max. Les trois héroïnes, les trois chastes ouvrières de grâce et de salut vous apparaîtront comme sur trois degrés inégaux.

Ce qu’il y a d’admirable chez Agathe, c’est qu’elle ignore. Elle n’intervient dans le drame ni par des actes, ni même par des intentions, mais par on ne sait quelle secrète influence émanant de son amour et de sa pureté. Sans doute elle est rêveuse et grave : à sa rieuse cousine elle ne répond que par des chants qui ressemblent à des soupirs ; quand le soir tombe sur la clairière, elle ne le voit tomber ni sans mélancolie, ni sans effroi. Elle écoute le moindre souffle qui se lève, une feuille qui tombe, l’eau qui pleure en fuyant, l’oiseau qui frappe du bec le tronc des hêtres, enfin tout ce que la musique apporte à son oreille de bruits lointains et de nocturne silence. Dans ces dehors obscurs, dans toute cette nature qui l’environne, elle devine vaguement un mystère, des puissances occultes, peut-être ennemies, et pour en préserver celui qu’elle aime et qu’elle attend, elle prie. Mais que demain vienne le jour, l’enfant ne se souviendra plus d’avoir eu peur, et sa prière du matin sera plus sereine que ne fut troublée sa prière du soir. Agathe cependant, la vierge qui ne sait pas le mal, ressemble, oh ! de très loin, mais ressemble à Elisabeth, la vierge qui le sait, qui le pardonne et qui le rachète. Entre les deux figures on pourrait surprendre de singulières correspondances : montrer par exemple qu’au début du troisième acte et du Freischütz et de Tannhæuser, après un second acte dramatique et mouvementé, la prière d’Elisabeth et le second air d’Agathe produisent une détente pareille. Et dans la dernière péripétie du Freischütz, dans le cri d’Agathe effleurée par la balle enchantée, je serais tenté d’apercevoir comme un pressentiment de la grande idée expiatoire, une ébauche du sacrifice qu’Elisabeth un jour consommera.

Agathe est innocente ; Alice est active. Alice ne rêve pas, elle n’a rien de sentimental, de mystique ni d’allemand ; c’est une héroïne toute française. Elle n’a pas peur, elle affronte bravement le démon. Elle lutte avec lui pied à pied ; elle lutterait au besoin corps à corps, et pour le vaincre elle use de procédés matériels, j’allais dire pratiques, tels que le pieux écrit prudemment réservé pour le suprême effort.