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des constellations encore couvertes d’un voile. Çà et là, les souffles errans soulevaient et chassaient les ondes, rares d’abord, puis plus fréquentes, puis moins débiles ; ils soulevaient et poussaient les ondes dont les fines crêtes fleurissaient, dérobaient au crépuscule une lueur, écumaient un instant et retombaient languides. Tantôt comme un son assourdi de cymbales, tantôt comme un son de disques d’argent heurtés l’un contre l’autre, tantôt comme un son de cristaux précipités sur une pente, tel était le son que faisaient dans le silence ces ondes retombant et mourant. De nouvelles ondes se levaient, engendrées par un souffle plus long, et se recourbaient limpides, et portaient dans leur courbure la grâce dernière du jour, et se brisaient avec une sorte d’indolence, semblables à de mobiles rosiers blancs qui s’effeuilleraient, et laissaient des écumes durables, pareilles à des pétales, sur le miroir qui se dilatait là où elles disparaissaient pour toujours. D’autres encore se levaient, augmentaient de vitesse et de force, s’approchaient du rivage, l’atteignaient avec une violence triomphale suivie d’un bruit diffus pareil à un froissement de feuilles arides. Et, tandis que durait encore cet illusoire froissement de la forêt irréelle, d’autres vagues, là-bas, là-bas, sur le croissant du golfe, déferlaient à des intervalles de plus en plus courts, suivies du même bruit, de sorte que la zone sonore semblait s’étendre à l’infini par les perpétuelles vibrations d’une myriade de feuilles arides.

Cette sylvestre harmonie imitative était la trame constante où l’onde assaillant les récifs posait ses rythmes interrompus. L’onde arrivait avec un emportement d’amour ou de colère sur les blocs inébranlables ; elle s’y précipitait en mugissant, s’y étalait en écumant, envahissait de sa liquidité jusqu’aux passages les plus secrets. Il semblait qu’une âme naturelle ultra-souveraine Emplît de son agitation frénétique un instrument vaste et multiple comme un orgue, en passant par toutes les discordances, en touchant toutes les notes de la joie et de la douleur.

Elle riait, gémissait, suppliait, chantait, caressait, sanglotait, menaçait : tour à tour joyeuse, plaintive, humble, ironique, câline, désespérée, cruelle. Elle sautait jusqu’à la cime de la plus haute roche pour y remplir la petite cavité ronde comme une coupe votive ; elle s’insinuait dans la crevasse oblique où les mollusques pullulaient ; elle s’écroulait sur les moelleux tapis de corallines en les lacérant, ou elle y rampait aussi légère que le serpent sur la mousse. Le dégouttement égal des eaux suintantes dans la caverne occulte, le regorgement rythmique des fontaines pareil à la pulsation d’un vaste cœur, le clapotis rauque des sources sur la déclivité raboteuse, le fracas sourd du torrent emprisonné