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puscules lumineux, et les plus convaincus laissèrent-ils échapper dans leurs écrits plus d’une marque de doute.

C’est que certains faits bien assurés, bien simples à constater, réchauffement d’un morceau de fer que l’on martèle, d’un corps que l’on frotte, paraissaient plus aisés à concilier avec la théorie cartésienne qu’avec l’hypothèse du calorique. Si réchauffement d’un corps est dû à la pénétration d’un fluide dans ce corps, comment l’action de marteler ou de frotter ce corps augmente-t-elle la quantité de calorique qu’il contient ? Si, au contraire, la chaleur est une agitation très rapide des élémens du corps, n’est-il pas naturel que les ébranlemens, les secousses venues de l’extérieur puissent accroître la force vive de ce mouvement ?

Descartes avait déjà invoqué la chaleur produite par la percussion comme une preuve de sa thèse ; Robert Boyle, sans cesse hésitant entre la supposition qui fait de la chaleur une substance et celle qui en fait un mouvement, reprend un argument semblable en faveur de la seconde hypothèse ; il fait remarquer que, lorsqu’on enfonce un clou dans un morceau de bois, il faut frapper un grand nombre de coups sur la tête du clou avant que la température de cette tête s’échauffe d’une manière sensible : la force vive du marteau traverse le clou pour aller briser le bois, et la fraction de cette force vive qui reste emmagasinée dans le fer est petite ; mais à partir du moment où le clou, complètement enfoncé, ne peut plus s’avancer dans la masse du bois, quelques coups suffisent pour lui communiquer une chaleur considérable : « l’impulsion donnée par le coup de marteau étant incapable de chasser le clou plus avant ou de le briser, il faut qu’elle se dépense dans la production de ce mouvement intestin qui est la chaleur. »

Lavoisier et Laplace, dans le Mémoire sur la chaleur qu’ils lurent à l’Institut le 18 juin 1783, exposent les deux théories de la chaleur entre lesquelles sont partagés les avis des physiciens ; ils résument d’abord la doctrine du calorique, puis l’hypothèse que la chaleur est un mouvement : « Nous ne déciderons pas entre les deux hypothèses précédentes, disent-ils ; plusieurs phénomènes paraissent favorables à la dernière ; tel est, par exemple, celui de la chaleur que produit le frottement de deux corps solides ; mais il en est d’autres qui s’expliquent plus simplement dans la première. »

Si les tenans de la théorie cartésienne pouvaient objecter aux partisans de l’existence substantielle du calorique la production de la chaleur par la percussion et le frottement, ceux-ci, en revanche, opposaient à ceux-là l’absorption de chaleur latente qui accompagne la fusion et la vaporisation. Comment expliquer