Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il s’attardait à cette pensée ; il cherchait à construire une représentation de son être affranchi et apaisé dans un avenir sans amour ; et il se plaisait à envelopper le corps luxurieux de son amante dans un suaire fantastique.

Dans l’eau, Hippolyte était timide. Elle n’osait jamais pousser ses essais de natation plus loin que la zone des fonds bas. Un effroi soudain l’envahissait lorsque, reprenant la position verticale, elle ne sentait pas tout de suite la terre ferme sous ses pieds. George l’excitait à s’aventurer avec son aide jusqu’à l’Ecueil d’En-Dehors, bloc isolé à peu de distance de la rive, à vingt brasses au delà de la région sûre ; pour y arriver à la nage, un très léger effort suffisait.

— Du courage ! répétait-il afin de la convaincre. Tu n’apprendras qu’en te risquant. Je resterai près de toi.

Il l’enveloppait ainsi de sa pensée homicide, et il avait un long frémissement intérieur chaque fois que, dans les incidens du bain, il constatait l’extrême facilité avec laquelle il aurait pu traduire sa pensée en acte. Mais l’énergie nécessaire lui faisait défaut, et il se bornait à tenter le hasard en proposant cette petite aventure. Dans son état actuel de faiblesse, il aurait été lui-même en péril si Hippolyte, prise de peur, se fût violemment accrochée à lui. Mais une telle probabilité ne le dissuadait pas de tenter l’épreuve ; au contraire, elle l’y poussait avec plus de résolution.

— Courage ! Comme tu vois, la roche est si voisine qu’on la toucherait presque en allongeant la main. Ne te préoccupe pas de la profondeur. Nage sans te presser, à mon flanc. Là-bas, tu reprendras haleine. Nous nous assoirons ; nous cueillerons de la coralline… Décide-toi. Courage !

Il avait peine à dissimuler son trouble. Elle résistait, elle chancelait, suspendue entre la crainte et le caprice.

— Et si la force me manque avant d’arriver ?

— Je serai là pour te soutenir.

— Et si ta force ne suffit pas ?

— Elle suffira. Tu vois bien que la roche est tout près.

Souriante, elle fit, du bout de ses doigts mouillés, tomber sur ses lèvres quelques gouttes d’eau.

— L’eau est si amère ! dit-elle en faisant la moue.

Puis, la dernière répugnance vaincue, elle se décida soudain.

— Allons ! je suis prête.

Son cœur ne palpitait pas aussi fort que le cœur de son compagnon. Comme l’eau était très tranquille, presque immobile, les premières brasses furent aisées. Mais soudain, faute d’expérience,