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s’est rendu plus infâme par ses dangereux écrits que les bourreaux et les assassins de leur Prince. » Oublieuse de ce qu’elle a dû récemment à l’Espagne et à l’Italie, la France de Boileau estime qu’au de la de ses frontières, et surtout du côté du Nord, le reste du monde ne pense pas honnêtement. C’est l’heureuse persuasion de la Chine : d’une Chine admirable, et très fondée à revendiquer sa supériorité, mais aussi naïve que l’autre dans sa prévention contre l’universelle barbarie de tout ce qui n’est pas elle. Comme à la Chine, on n’admettait de rivaux et de maîtres que dans le lointain passé ; les nôtres dormaient dans les tombeaux de la Grèce et de Rome. Le seul doute auquel l’esprit français pût s’ouvrir naissait de la querelle des anciens et des modernes, très différente des controverses futures sur le cosmopolitisme ; querelle de famille, entre des élèves et des maîtres dont nous étions évidemment les uniques héritiers.

Par une de ces conséquences imprévues qui font de l’histoire une ironie perpétuelle, les premières atteintes à la tradition du grand siècle allaient sortir de la révocation de l’Edit de Nantes, décrétée pour sauvegarder l’unité française. Une foule d’esprits curieux, portés par leur doctrine au libre examen, se répandit sur l’Europe et principalement en Angleterre. Le choc en retour ne se fit pas attendre. Obligés d’apprendre la langue du pays d’exil, promptement séduits par le nouveau monde qu’ils découvraient, les bannis renvoyèrent dans leurs écrits les premières notions de ce monde à la mère patrie. Ils formèrent un vaste atelier de journalisme et de propagande ; les idées anglaises, et bientôt les œuvres traduites, circulaient entre Londres, la Haye et Genève : on n’imprimait, on ne lisait que Bibliothèques britanniques et Mémoires littéraires sur l’Angleterre ; ces feuilles arrivaient à Paris. Cent ans plus tard, l’exode semblable des émigrés aura les mêmes effets ; notre pays désigne de temps à autre des victimes pour aller lui chercher des idées. Je croirais pourtant que M. Texte, entraîné par un épisode qu’il a consciencieusement étudié, grossit quelque peu l’importance du rôle qu’il attribue aux réfugiés protestans. Les communications actives entre les deux peuples voisins ne s’établirent qu’après 1720 ; les vulgarisateurs qui allumèrent la curiosité française furent le Suisse Béat de Murait, avec un ouvrage très goûté des contemporains, l’abbé Prévost et le jeune Voltaire.

On a trop bien parlé ici de Prévost pour qu’il soit nécessaire de rappeler l’enthousiasme contagieux du bénédictin défroqué, revenu d’Angleterre avec des romans imités de ceux qu’on lisait à Londres, avec un bagage de traductions qu’il allait bientôt