Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

macédoniens d’attiser chez elle un foyer dont les brandons serviraient à allumer l’incendie de l’autre côté de ses frontières. Rien n’excuserait une pareille attitude. La Porte s’en est déjà plainte : on lui a répondu de Sofia qu’elle ferait bien d’accorder des réformes à la Macédoine. Cette réponse est plutôt de nature à encourager le mal qu’à y mettre un terme. Il n’y a pas dans l’Europe occidentale, civilisée et respectueuse des règles du droit des gens, un seul gouvernement qui l’accepterait de la part d’un autre, si cet autre laissait en même temps l’insurrection s’organiser chez lui et semblait même la propager. La Porte, perfidement attaquée, n’a songé qu’à se défendre ; elle l’a fait jusqu’ici avec autant de modération que de fermeté. Les derniers télégrammes annoncent que plusieurs des bandes insurrectionnelles qui étaient passées de Bulgarie en Macédoine sont revenues à leur point de départ assez fortement endommagées : qui pourrait trouver mauvais que la Porte repoussât la force par la force ? Tout ce qu’on lui demande est de s’en tenir là et de ne pas égarer la répression sur des villages tout entiers, sur, des femmes, sur des enfans, comme elle l’a fait en Arménie il y a quelques mois, et en Bulgarie même il y a quelque dix-huit ans. Le temps est passé où elle pouvait répondre à la révolte par le massacre et par la terreur. Rien n’est plus facile que d’arrêter dès le début les échauffourées bulgaro-macédoniennes, à la condition d’éviter des fautes diverses sur le danger desquelles l’Europe et la Porte sont suffisamment éclairées par l’expérience. Mais la Bulgarie a un rôle à tenir, une attitude à prendre dans cette circonstance, et son gouvernement a une occasion d’atténuer les impressions pénibles produites par un malheur qu’il aurait dû et qu’il n’a pas su prévenir : saura-t-elle en profiter ?

Nous ne dirons aujourd’hui qu’un mot des élections anglaises. Le résultat en est connu de tout le monde, et il est encore trop tôt pour en apprécier les conséquences. Quant aux causes de l’échec presque sans précédent que les libéraux viennent d’éprouver, chacun les énumère à sa façon et donne plus d’importance tantôt à celle-ci, tantôt à celle-là. Toutes ces causes diverses ont agi en même temps et dans le même sens pour amener la catastrophe. La vérité est que le parti libéral avait en quelque sorte abdiqué entre les mains de M. Gladstone, et que celui-ci, emporté par une fantaisie d’imagination qui s’attachait aux objets les plus divers, sans d’ailleurs en poursuivre jusqu’au bout et en épuiser aucun, avait fini par troubler profondément la conscience politique du pays. La séduction exercée par le grand vieillard sur ses nombreux fidèles fait le plus grand honneur à son talent merveilleux et à son caractère sympathique ; on sentait en lui des idées généreuses et un cœur toujours chaud ; mais il a surchargé son programme, il a surmené, harassé, éreinté son parti ; il en a tendu en quelque sorte