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servaient de conseils : Jean Rubens et un autre docteur en droit, Jean Bets de Malines, qui, compromis par ses opinions religieuses, avait dû également s’expatrier. Bets s’étant absenté pour aller soutenir auprès des cours étrangères la cause qui lui était confiée, Rubens était resté seul avec la princesse, et, à la suite d’une intimité croissante, des relations criminelles s’étaient nouées entre eux. Il était souvent le commensal d’Anne de Saxe et l’accompagnait dans ses voyages. En 1570, celle-ci trouvant qu’elle n’était plus en état de soutenir à Cologne le train qu’elle y menait, se retirait dans la petite ville de Siegen, qui faisait partie des domaines du comte Jean de Nassau, frère du Taciturne. C’est à Rubens el à sa femme qu’elle confiait la garde de ses deux enfans et des serviteurs attachés à leur personne.

Sous prétexte de consulter le docteur sur ses affaires, elle cherchait à l’attirer souvent à Siegen, et celui-ci lui faisait d’assez fréquentes visites dans sa nouvelle résidence. Avec le temps, tous deux s’étaient sans doute enhardis, comptant sur l’impunité. Mais peu à peu le mystère s’était découvert et le bruit de leurs relations était arrivé jusqu’aux oreilles du comte Jean. Un jour du commencement de mars 1571, comme Rubens se rendait de nouveau à Siegen pour y voir la princesse, le comte le lit enlever par ses trabans et incarcérer d’abord dans cette ville, puis au château de Dillenburg, en attendant qu’il fût statué sur son sort, car dans les lois allemandes de cette époque l’adultère était puni de la peine capitale. On avait également mis la main sur Anne de Saxe qui, interrogée sur les relations existant entre elle et Rubens, commençait par les nier résolument. Mais il est probable que des lettres interceptées avaient fourni une preuve suffisante de sa faute, et il eût été d’ailleurs difficile de la nier bien longtemps, l’épouse coupable étant enceinte d’une fille dont elle accouchait au mois d’août suivant. La torture finit, du reste, par arracher à son complice des aveux complets. Plus tard même, celui-ci, s’efforçant assez piteusement de se disculper, rejetait sur Anne le tort d’avoir fait les premières avances : « Je n’aurais jamais eu, ajoutait-il, l’audace de m’approcher d’elle si j’avais pu craindre d’être éconduit. » Mais sur l’heure, croyant sa fin prochaine, à plusieurs reprises il demandait la mort et « sans qu’on le fit trop languir. » La princesse, voyant qu’il était inutile de persister dans ses dénégations, se décidait alors à tout avouer (25 mars 1571), avec l’espoir qu’on laisserait Rubens retourner près de sa femme et de ses enfans, car elle confessait que « sa conscience n’était pas médiocrement chargée d’avoir donné à cette malheureuse épouse si mauvaise récompense pour tous les services qu’elle lui avait rendus. »