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de grouper dans une première partie tous ses travaux de thermodynamique pure, afin qu’ils se montrassent indépendans de ses recherches sur la théorie cinétique des gaz, publiées dans une autre partie ; l’exposé de la thermodynamique, qui formait la première partie de son œuvre, faisait un seul emprunt à l’hypothèse du mouvement calorifique : il la prenait pour prémisse de déductions qui aboutissaient au principe de l’équivalence de la chaleur et du travail.

Ces précautions prises par Clausius et, à son exemple, par la plupart des auteurs qui ont écrit touchant la thermodynamique, étaient-elles suffisantes pour calmer tous les scrupules, pour imposer silence à toutes les objections ? Assurément, aux hypothèses faites sur la nature de la chaleur, on ne prenait que ce qu’elles renferment de plus général, de moins détaillé ; mais n’était-ce pas encore leur trop emprunter ? On admettait, d’après elles, que les molécules d’un corps sont agitées de mouvemens de très petite amplitude, mais de très grande vitesse ; on admettait que la quantité de chaleur dégagée par un corps qui se transforme équivaut, pour une part, à la diminution de force vive du mouvement moléculaire et, pour une autre part, au travail effectué par les forces tant intérieures qu’extérieures ; on admettait que le travail effectué par les forces intérieures durant une modification ne dépend que de l’état du corps au début et de l’état du corps à la fin de cette modification ; assurément, ces suppositions séduisent l’esprit par leur clarté, leur simplicité, leur généralité ; peut-on, cependant, les regarder comme absolument certaines ? Ne peuvent-elles plus faire l’objet d’aucun doute ? Ne paraissent-elles pas incapables, après tout, de rendre compte de la loi de Clausius, prise sous sa forme complète et générale, sous la forme qui s’applique aux phénomènes non réversibles ? Cette incapacité n’est peut-être encore qu’une présomption, qu’une opinion particulière à certains physiciens enclins au scepticisme ; d’autres, plus confians, peuvent espérer de triompher un jour de cet obstacle ; mais ceux-ci mêmes sont bien forcés de reconnaître que leur espoir n’est pas une certitude ; qu’ils peuvent se leurrer ; que, peut-être, quelque jour, l’impossibilité de réduire le principe de Sadi-Carnot et de Clausius aux hypothèses fondamentales de la dynamique sera rigoureusement démontrée ; que serait la théorie de la chaleur au lendemain d’une semblable découverte ? Ce qu’elle était après que l’expérience de Rumford eut fait éclater à tous les yeux l’impossibilité de l’existence substantielle du calorique, ce qu’était l’optique après que les recherches de Young eurent prouvé la fausseté de l’hypothèse de l’émission : une théorie à refaire.

N’est-ce pas, pour le physicien, un devoir tout tracé que de