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garantie que M. le Comte de Paris lui-même. Sans doute, il portait fièrement les souvenirs du roi Louis-Philippe. Il savait gré à son aïeul d’avoir, en acceptant la couronne, sauvé la France de l’anarchie et de la guerre, de lui avoir donné dix-huit années de prospérité, d’avoir préparé l’armée et les généraux qui devaient faire la campagne de Crimée et d’Italie. Mais pas un jour il n’eut la pensée que le trône de Juillet pût être rétabli à son profit. Volontiers, il eût appliqué à la situation du parti monarchique la spirituelle repartie de M. de Narbonne à Napoléon Ier, quand celui-ci, en querelle avec le pape, menaçait de faire un schisme : « Sire, il n’y a pas assez de religion en France pour en faire deux. » Sans parler de considérations plus élevées, il comprenait très bien qu’à l’encontre des républicains et des bonapartistes l’union de tous les monarchistes était nécessaire, et que cette union ne pouvait se faire qu’autour du principe de la monarchie héréditaire et traditionnelle dont la fixité lui paraissait, seule offrir un point d’appui solide. Aussi, lorsqu’il fut sollicité de donner la preuve publique de ses dispositions personnelles, en s’engageant à faire, après l’abrogation des lois d’exil, une visite à M. le Comte de Chambord, il accepta sans la moindre difficulté, et cette promesse de sa part suffit pour réaliser l’entente de la droite dans l’Assemblée.

Unis, les monarchistes disposaient d’une majorité considérable. On en eut In preuve par ce fait que, sur quinze bureaux, treize nommèrent des commissaires favorables à l’abrogation des lois d’exil. J’étais au nombre de ces treize commissaires. Soutenus par une majorité pareille, il nous eût été facile de proposer à l’Assemblée une résolution que nous eussions fait passer de haute lutte, malgré l’opposition de M. Thiers. Mais nous préférions, avec raison, arriver à une entente, et notre premier soin fut de le prier de venir conférer avec nous. Devant la commission, M. Thiers tint un langage assez différent de celui qu’il avait tenu à mon père. Il protesta de ses sentimens personnels vis-à-vis des princes d’Orléans. Il déclara qu’il n’entendait pas s’opposer au mouvement généreux de l’Assemblée, mais que son devoir était de l’avertir des dangers que pouvait amener l’abrogation des lois d’exil qui n’étaient pas des lois de proscription, mais des lois de précaution. La présence des princes en France pourrait, à un jour donné, occasionner des troubles. Il ne voulait pas, par son silence, être responsable de ce qui arriverait. Cependant il y aurait peut-être une manière de mettre tout le monde d’accord : ce serait de conférer au gouvernement des pouvoirs exceptionnels qui lui permissent de prévenir ces troubles. M. Thiers tira alors de son portefeuille un