Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont nos vieux jurisconsultes ont si bien précisé les termes : c’est de lui qu’il s’agit. Les conditions nouvelles dans lesquelles s’exerce l’industrie moderne ont pu en modifier le fonctionnement ; elles en ont conservé intacts tous les élémens essentiels.

Un contrat est un contrat. Il engage deux volontés. Ni l’une ni l’autre de ces volontés n’a le droit de rompre l’engagement d’une manière arbitraire, sous peine d’encourir des responsabilité qui se traduisent par des déchéances ou par des dommages-intérêts. On a fait, en 1884, une loi sur les syndicats ouvriers. Bien qu’elle ait été singulièrement dénaturée dans la pratique, et que, sous l’influence de meneurs sans scrupules, elle ait eu des résultats très différens de ceux qu’on en attendait, la pensée qui lui a donné naissance était juste. Nous traversons une période d’hésitations, de tâtonnemens, et aussi de violences qui ne saurait se prolonger indéfiniment. L’expérience, avec ses rudes conséquences, finira par maîtriser les uns et les autres, mais ce sera malheureusement, comme toujours, au prix de beaucoup de souffrances particulières. Il était légitime et même indispensable d’attribuer une représentation légale aux ouvriers : c’était le seul moyen de leur assurer la libre discussion, au besoin la libre défense, enfin l’égalité avec les patrons. Mais les syndicats, en leur donnant un moyen d’action, leur imposaient une responsabilité correspondante, et c’est ce qu’ils n’ont pas compris. Non contens d’avoir obtenu l’égalité, ils ont voulu bientôt qu’on leur reconnût des droits supérieurs et même exclusifs. Ce contrat de louage dont nous avons parlé, ils en ont imposé aux patrons le respect absolu, sauf à eux à le rompre sous le prétexte le plus futile, toutes les fois qu’ils ont cru y trouver profit. Peu importe que le patron se trouve dans l’embarras : c’est sur cet embarras qu’ils comptent pour l’obliger à céder. Ils n’ont pas envisagé l’hypothèse de sa ruine, persuadés qu’il capitulerait toujours avant d’en venir à cette extrémité, et sur cette vraisemblance ils ont joué étourdiment leur fortune et la sienne. Mais s’ils se trompent sur la solidité du patron, qu’arrivera-t-il ? Et même s’ils ne se trompent pas, est-il admissible que, pour un motif quelconque, le contrat soit rompu d’un côté, ou du moins interrompu, tout en subsistant virtuellement et obligatoirement de l’autre ? Est-il équitable que les ouvriers puissent se dégager de leurs obligations, tandis que les patrons restent soumis aux leurs, trop heureux de voir le contrat rentrer en vigueur au gré d’une des deux parties et au moment qu’elle aura déterminé toute seule ? Tel n’est pas notre sentiment. Un contrat interrompu est un contrat rompu. Il rend à chacun la plénitude de sa liberté. S’il la rend aux ouvriers, il la rend du même coup aux patrons. Les ouvriers ont le droit de se mettre en grève, oui sans doute ; mais l’unique garantie contre l’abus qui peut être fait de ce droit est la responsabilité qui en découle pour ceux qui en usent. Le lendemain d’une grève, patrons et