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qu’il avait annoncé. Il le fait froidement, résolument. Quel moyen d’action a-t-on contre lui ? S’il s’agissait de l’exploitation d’une mine, les socialistes ne manqueraient pas de réclamer la déchéance de la Compagnie et le retrait de son privilège. Mais il s’agit d’une industrie privée : dès lors, que faire ? Les journaux du parti n’ont trouvé qu’un moyen — et ils osent le dire — d’amener M. Rességuier à composition. Pourquoi le gouvernement, dépositaire de la force publique, protège-t-il plus qu’il ne faut la personne de l’administrateur délégué ? Pourquoi défend-il à l’excès le matériel de la Compagnie, ses usines, ses fourneaux, etc. ? Ne pourrait-il pas se relâcher de sa surveillance ? Ne pourrait-il pas au moins faire entendre à M. Rességuier qu’il est sur le point de le faire ? C’est ainsi que les socialistes entendent le rôle du gouvernement, et qu’ils le rempliraient s’ils étaient aux affaires : et alors ce n’est pas l’héroïsme de M. Jaurès qui serait à l’épreuve, ni sa poitrine qui serait menacée. Voilà ce qu’écrivent en toutes lettres les journaux socialistes de Paris et de Toulouse. L’ombre sanglante de l’infortuné Watrin se profile complaisamment à travers leurs colonnes. La grève suit un cours trop tranquille à leur gré : n’y a-t-il pas lieu d’y mêler un élément nouveau et de répondre, suivant l’expression de M. Jaurès, « à la violence par la violence ? »

Mais quelle violence a-t-on faite aux ouvriers ? Si l’attitude prise par M. Rességuier inaugure une autre ère dans les rapports du capital et du travail, elle est légitime ; on ne saurait y opposer aucun argument de droit. Se propose-t-il de la pousser jusqu’à ses conséquences extrêmes, et à s’entendre dire : Summum jus, summa injuria ? Rien jusqu’ici ne le fait croire. Il annonce, au contraire, qu’il reprendra tous les ouvriers, sauf un petit nombre de meneurs. Quant aux tarifs, il accepte d’avance les plus élevés de ceux qui sont appliqués ailleurs dans la même industrie. Ce ne sont pas là des conditions draconiennes. Sans doute, quelques ouvriers seront exclus avec M. Baudot ; nous souhaitons que le nombre en soit le moins grand possible ; mais le nombre de ceux que conservera la Compagnie restera certainement supérieur à ses besoins. Pourquoi donc les rengagera-t-elle, sinon pour maintenir avec eux cette solidarité de travail et d’intérêts que les fauteurs de grève méconnaissent et troublent si souvent ? La Compagnie diminuera les chiffres de ses tarifs, il est vrai, mais si elle les maintient au maximum de ceux que l’on distribue ailleurs, pourra-t-on lui reprocher de céder à un inavouable sentiment de rapacité ? Elle a fait jusqu’à ce jour davantage ; on ne lui en a su aucun gré. Elle a sacrifié une partie de son intérêt ; on ne lui en a montré aucune reconnaissance. Elle a prévenu les ouvriers que, s’ils se mettaient en grève, elle se verrait dans l’obligation de prendre des mesures nouvelles ; les ouvriers ont passé outre et se sont mis en grève. Il faut être juste, même pour les patrons. Eux aussi sont des hommes, et lorsqu’ils