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convenance même officielle. Je n’admettais donc pas qu’il pût être fait le moindre fond sur lui. Je demeurais persuadé que ce ballon gonflé crèverait au premier coup d’épingle. De plus, les allures de César démagogue qu’il prenait, me déplaisaient fort. Aussi, tout en me rendant compte combien était forte la tentation de faire alliance avec lui contre ceux qui détenaient alors le pouvoir uni ministère radical venait précisément d’arriver aux affaires" ! , cependant j’étais d’avis de résister à cette tentation, de faire, nous monarchistes, bande à part et de le combattre au besoin. Il y avait grande division sur ce point dans le parti monarchique, et assurément le cas était embarrassant.

Sur ces entrefaites, c’était le lendemain de la triomphante élection du général Boulanger dans le Nord, M. le Comte de Paris revint d’Espagne, assez mal informé, comme on peut penser, d’une situation dont l’imprévu déjouait son esprit méthodique. Il convoqua plusieurs personnes en Angleterre, pour leur demander leur sentiment. Je fus du nombre. J’opinai très nettement dans le sens que, je viens d’indiquer. Le prince me demanda de bien préciser mes idées ; pour le mieux faire, je jetai sur le papier le brouillon d’une déclaration, où, après avoir fait retomber sur le régime républicain la responsabilité et l’humiliation de cette menace d’insurrection prétorienne, le prince conseillerait cependant aux monarchistes de n’y point prêter la main. Je laissai mon brouillon entre ses mains, et je repartis pour Paris, mon service ne me retenant pas alors auprès de lui. Quelques jours après, je lus dans les journaux monarchiques les premières lignes de la déclaration que j’avais proposée ; mais la fin en était différente, et semblait conseiller aux royalistes de prendre, vis-à-vis de ce qu’on a appelé le mouvement boulangiste, l’attitude d’une neutralité bienveillante. L’avis de ceux qui voyaient dans le général Boulanger une force à ménager avait triomphé.

L’événement sembla d’abord leur donner raison. Quelques mois après, sa triple élection dans le Nord, dans la Somme et dans la Charente-Inférieure imprimaient à la République une secousse qui semblait présager sa chute. Mais plus la popularité du général Boulanger grandissait, plus s’accroissaient mes inquiétudes. Je le voyais, aux élections prochaines, nommé au scrutin de liste dans un grand nombre de départemens comme l’avait été M. Thiers en 1871, et porté ensuite comme lui au pouvoir par les monarchistes, ce qui me paraissait une imprudence et même un péril, étant donnée l’opinion que j’avais de sa personne. J’eus à cette occasion une explication avec M. le Comte de Paris, et je lui dis mes craintes. « Je n’ai pas plus que vous, me répondit-il, le désir de voir arriver au pouvoir le général Boulanger ;