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le montant est de 584 millions, réaliserait un gain approximatif de 130 millions. Elle se trouverait donc en mesure de répartir entre ses actionnaires une somme à peu près égale à la cote présente de leurs titres. Mais il suffit de rapprocher ce chiffre de 584 millions d’engagemens actuels du capital originaire, pour concevoir que, dans une affaire d’assurance, la garantie des assurés réside principalement dans les réserves qu’ils constituent eux-mêmes, et dans la gestion prudente et habile des administrateurs qui les font valoir.

Cette opinion, aujourd’hui évidente, ne l’était ni en 1820, ni même en 1840. Personne ne croyait alors aux chances de succès de la mutualité dans l’assurance « vie » ; personne en France du moins, puisque partout à l’étranger les mutuelles atteignent ou dépassent, pour le chiffre des capitaux assurés, les sociétés par actions. Chez nous il est fort possible que cette forme de prévoyance défigurée par les tontines, qui lui donnaient un aspect de louche spéculation, eût prospéré moins vite encore, si des capitalistes n’en avaient fait l’objet d’une entreprise honorable. Il arrive parfois que l’on consente à acheter ce que l’on ne s’était pas soucié de recevoir gratis. Personne, jusqu’à 1881, n’ayant institué de mutuelle dans notre pays, on serait fort mal venu de reprocher à nos vieilles compagnies d’assurances des bénéfices loyalement réalisés.

Mais elles ne doivent plus s’attendre aujourd’hui que, après avoir reconnu la parfaite inutilité du capital, les assurés continuent volontiers à lui servir de très grosses rentes. Elles en sont si convaincues que, toutes, depuis longtemps, ont admis le client au partage des profits. Il se plaint toutefois, ce client — et il n’a pas tort — que, pour maintenir sa part sans nuire à celle des actionnaires, on ait exagérément élevé le taux des primes. Le cadeau lui parait ainsi sortir un peu trop de sa poche. Ou verra si cette observation est fondée en comparant le coût de l’assurance chez les autres nations avec ce qu’il est en France ! Pour assurer à 30 ans 10 000 francs en cas de décès, il faut payer aux grandes sociétés françaises 267 fr. et seulement 240 fr. en Allemagne, 233 fr. aux Mats-Unis, 228 fr. en Angleterre, 204 fr. en Autriche-Hongrie. Cette différence à notre désavantage ne tiendrait-elle pas à ce que les frais accessoires sont à l’étranger moins lourds, et surtout l’immixtion de l’Etat moins gênante ?

La mutualité, dans ces conditions, a devant elle sur notre territoire un large champ à exploiter. Effacée encore et débutante, la Mutuelle-Vie de Rouen ne paraît pas jusqu’ici inquiéter beaucoup ses puissantes devancières. C’est en vain que son inspecteur général, qui joint l’ardeur généreuse d’un apôtre à une intelligence rare de- sa profession, se multiplie à travers les