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attributs indispensables de toute nature complète, comme les élémens nécessaires d’un tout harmonieux.

Sans réaliser de tout point cet idéal, Alexandre Farnèse était né avec des dispositions précieuses pour jouer un rôle important au milieu de ses contemporains. Comme presque tous ceux de sa race, il était beau et bien l’ait ; son intelligence était ouverte, son esprit prompt, souple et fertile en ressources ; une finesse extrême, un jugement droit, des passions fortes, une volonté plus énergique encore. L’éducation qu’il reçut, éducation que la Renaissance seule pouvait donner, compléta l’œuvre de la nature. Pour maîtres on lui donna Bolognesi et Pomponius Letus. Ce dernier, qui jouissait d’une triple réputation d’érudit, de philosophe et d’orateur, sut inculquer à son élève l’amour de la science dont il était animé lui-même. Le disciple acheva de s’instruire à Florence, qui passait, alors pour le foyer de toute culture. Il y fut reçu avec distinction par Laurent le Magnifique, vécut familièrement avec les politiques, les poètes et les artistes qui composaient cette cour fameuse et eut l’occasion de se lier d’amitié avec le futur Léon X, Jean de Médicis.

Quand le jeune homme rentra dans sa famille, rien ne lui manquait pour faire brillamment son chemin dans le monde. Son père, en mourant, avait laissé des biens considérables. Il était, par sa mère, apparenté avec les plus puissantes familles de Home. Enfin, il possédait dans la beauté merveilleuse de sa sœur Giulia l’auxiliaire le plus précieux que pût souhaiter son ambition et qui devait assurer à courte échéance la fortune encore languissante de la maison Farnèse.

En dépit de tous ces avantages, Alexandre ne se fit d’abord connaître que par des équipées peu recommandables, mais qui n’étaient pas de nature à lui nuire dans l’esprit de ses concitoyens. Bien qu’engagé déjà dans les rangs de la hiérarchie ecclésiastique, il commit une action sur laquelle on ne possède que des données incertaines, mais qui attira sur lui les rigueurs d’Innocent VIII. Le pape fit enfermer le jeune imprudent au château Saint-Ange. Grâce à ses amis, il s’en évada bientôt et l’affaire ne semble pas avoir eu d’autre suite. Benvenuto Cellini, qui avait été lui-même emprisonné dans la célèbre forteresse et qui s’en était échappé en se brisant la jambe, raconte, dans su Vita, que Paul III causant avec lui quarante-cinq ans plus tard lit allusion à ce commun épisode de leur existence.

L’avènement d’Alexandre VI ouvrit brusquement à l’ambition des Farnèse un horizon nouveau. La belle Giulia avait su prendre depuis quelque temps sur Rodriguez Borgia un ascendant