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Védas, qui se récite au moment de l’initiation du jeune brahme et qui est comme la formule magique de la caste tout entière. On ne la prononce qu’à voix basse, en djapa, de façon à ce qu’elle ne soit pas entendue des profanes.

J’ai eu de nombreuses conversations avec Krichnacharryar, le brahme au visage clair, rond comme la pleine lune. Je ne veux pas m’inquiéter des motifs plus ou moins avouables qui lui avaient fait quitter Madras, certains comptes de tutelle difficiles à rendre, disaient les malveillans. J’appréciais comme une bonne fortune ces entretiens fréquens avec cet homme d’une autre race, à l’esprit ouvert, au langage ; imagé, et j’aimais à l’entendre parler des problèmes de la plus obscure métaphysique avec un entrain séduisant. Il s’occupait de politique et suivait les travaux du Congrès national. Il exécrait, à tort ou à raison, l’administration anglaise et voulait se faire naturaliser Français. Pendant quelque temps, il publia à Pondichéry un journal, Hindu Republic, où, à côté de notes pénibles pour les Anglais, il insérait tout au long les belles études de M. Barthélémy Saint-Hilaire sur le brahmanisme.

C’est par lui que j’appris à déchiffrer les traités célèbres de Sankaracharryar, d’une morale si haute, et l’on me pardonnera si j’évoque ici le souvenir de mes lectures et de mes méditations. Aussi bien que les rites populaires, les spéculations des brahmes font connaître l’âme hindoue ; elles nous la montrent s’élevant vers les sommets où tendent les vœux universels, mêlés d’inquiétude et d’espérance de l’humanité, avide de connaître et de croire. À ce point il n’est plus question de races ni de peuples divers. Ce n’est pas l’âme hindoue, c’est l’esprit humain que nous allons tenter de suivre dans son vol audacieux.

L’âme universelle, l’Atmana, s’unissant à la divinité, à Brahma, tel est le grand objet de l’effort moral auquel nous sommes conviés. L’essence de la philosophie des Védas, c’est que l’homme ne doit rien faire en vue d’une récompense, qu’il ne doit mettre à mort ni les brahmes, ni les femmes, ni les enfans, ni les vaches, qu’il ne doit pas se rendre coupable d’adultère, qu’il doit accomplir les rites que lui imposent les shastras et sa caste, chérir sa famille, célébrer les cérémonies imposées à la naissance d’un fils, faire les sacrifices prescrits, observer les jours fériés, donner des aumônes, s’absorber dans la méditation de Brahma. En voyant que toute chose procède de Brahma et qu’ainsi qu’un vase de terre, une fois brisé, retourne à l’argile dont il a été fait, l’univers détruit se confondra en Brahma, l’homme doit croire que Brahma est toute chose.

Cet univers n’est qu’une illusion, une apparence. Le pieux