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mort avait imprimé a ses traits une réelle beauté, et je les ai eus longtemps devant les yeux. Mais, quand je pense à lui, ce n’est point cependant ainsi qu’il m’apparaît. C’est plutôt sous l’aspect où me le représente une photographie récente que j’ai en face de moi en écrivant et que me rend doublement chère la main qui me l’a donnée : avec son Iront élevé déjà dégarni, avec son sourire fin, devenu triste, avec ses yeux bons et doux, un peu voilés d’ordinaire, mais auxquels l’approche de la mort avait donné quelque chose de profond, de diaphane et presque de lumineux, comme le reflet d’une autre clarté’. Depuis longtemps déjà son regard confiant ne se tournait plus qu’en haut, et c’est, là aujourd’hui que les nôtres le cherchent.

J’ai dit en commençant que je ne porterais point un jugement sur M. le Comte de Paris. Cependant, je ne puis, avant de le quitter encore, m’empêcher de dire mon sentiment sur lui. Il avait toutes les qualités à l’aide desquelles se conserve et se défend un trône : la résistance et la mesure, la fermeté et la souplesse, la trempe du caractère et la largeur de l’esprit. Peut-être lui manquait-il quelques-uns de ces dons qui sont utiles pour le conquérir : la grâce extérieure, l’art de la mise en scène, et, si l’on veut, l’ardeur irréfléchie. Mais qu’une chance inopinée se fût offerte à lui, pour périlleuse qu’elle eut été, il ne l’en aurait pas moins saisie ; il aurait été audacieux par devoir, comme il était ambitieux par conscience. Et, si au contraire, dans une France plus heureuse, il était arrivé au trône comme l’héritier de la longue lignée de nos rois, si cette France, attachée à sa dynastie, comme l’Angleterre à la dynastie de Hanovre, l’Autriche et la Russie à la dynastie des Hapsbourg et des Romanoff, eût gardé la touchante habitude de donner à chacun de ses souverains le surnom qui lui convînt le mieux, pour celui dont je viens de parler elle n’aurait point hésité : elle l’aurait appelé Philippe le Noble.


HAUSSONVILLE.