Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 131.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit d’exploiter ce gisement. La commission municipale[1] de Morsott accorda cette concession pour une durée de dix-huit ans, en fixant à 25 centimes par tonne la redevance que devrait payer le concessionnaire. Dès que l’approbation préfectorale eut rendu cette concession définitive, elle fut cédée par le concessionnaire à M. Crookstone, moyennant une redevance calculée d’après un tarif décroissant de 2 fr. 50 à 0 fr. 50 la tonne, mais avec la clause que le concessionnaire s’engageait à exploiter un minimum de 10 000 tonnes par an. On est aujourd’hui déjà bien loin de ce minimum : on prétend en effet que, cette année, l’extraction dépassera 500 000 tonnes. Or, avec les cours actuels des phosphates, c’est, pour l’exploitant, un bénéfice net de 15 à 20 francs par tonne. En admettant même quelque exagération dans les chiffres ci-dessus, il y a là une entreprise industrielle de premier ordre, dont les résultats peuvent être mis en balance avec ceux des plus riches mines d’or du Transvaal.

J’ai insisté sur les détails de cette première concession, car ils expliquent facilement les ardentes convoitises qui allaient s’allumer dans le département de Constantine. On ne tarda pas, en effet, dans un certain public, à connaître les conditions du traité qui avait été la conséquence de la concession accordée par la commune mixte de Morsott. On songea d’autant moins à les discuter que M. Crookstone, avec une initiative toute britannique, donna immédiatement à son exploitation le développement et les caractères d’une vaste entreprise industrielle. Dès lors, à Constantine, la « fièvre du phosphate » agita tous les esprits, La carte géologique de l’Algérie venait de paraître : on s’en disputa les exemplaires, afin d’y trouver l’indication des territoires susceptibles de renfermer les précieux gisemens. Il n’est pas douteux qu’il y aurait eu là le point de départ d’une spéculation effrénée. On se fût disputé tous les terrains d’origine suessonienne. L’imagination aidant, les richesses à acquérir eussent pris toute l’importance et toute la réalité des richesses acquises. Bien des espoirs eussent été déçus, bien des ruines consommées.

Pour une fois, tout au moins, on doit rendre hommage aux inextricables complications de la législation foncière algérienne, puisqu’elles ont eu le mérite de rendre une pareille spéculation impossible. C’est, en effet, dans des territoires où la propriété privée n’est point encore constituée que se trouvent, presque exclusivement, les gisemens à exploiter. L’État, les départemens, les communes mixtes ou indigènes[2], les

  1. Dans les communes mixtes, la commission municipale est appelée à exercer les attributions du conseil municipal. Présidée par l’administrateur, elle est composée de colons et d’indigènes désignés par l’administration.
  2. A côté des communes dites de plein exercice dont l’organisation est identique à celle des communes françaises, il y a, en Algérie, deux autres catégories de communes : les communes mixtes et les communes indigènes. Dans ces deux catégories de communes, l’élément indigène est en forte majorité. Les premières appartiennent au territoire civil ; elles sont administrées par des administrateurs placés sous l’autorité des préfets et des sous-préfets. Les secondes, situées en territoire militaire, sont encore administrées par des officiers de bureau arabe, sous l’autorité des généraux de division. À ce point de vue, ceux-ci relèvent, du reste, du gouverneur général et non du commandant en chef du 19e corps d’armée.