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Descostes prend pour un mystère n’en fût pas un. Si on ne nous a rien conté de ce qui est arrivé à Joseph de Maistre avant le temps de l’exil, c’est qu’en effet il ne lui est rien arrivé. C’est précisément ce qui ressort du travail de son nouveau biographe. Pour ce qui est du milieu où il a vécu, des influences qu’il a subies, on ne laissait pas de les connaître. On peut se reporter à l’étude que publiait Sainte-Beuve, voilà un peu plus de cinquante ans, et antérieurement à la publication de la correspondance, on verra qu’il n’y manque rien d’essentiel. Et cela même prouve une fois de plus tout ce qu’il y a de frivole et de vain dans ce goût que nous avons pour les petits papiers. Ils ne nous font pas mieux connaître l’homme, et ils nous détournent de son œuvre… Ensuite il est hors de doute que nous serions curieux d’assister à la formation intellectuelle de Joseph de Maistre. Mais celui-ci étant un homme de pensée, de réflexion abstraite et de raisonnement, ce que nous aimerions à connaître c’est le jeu et le progrès de ses idées, c’est l’impression qu’il emporta de certaines lectures, ce sont ses enthousiasmes et ses haines de jeune homme. Sur tous ces points M. Descostes nous apporte moins d’éclaircissements que nous ne voudrions.

Il a retrouvé le registre sur lequel un certain chevalier Gaspard Roze, ami de Joseph de Maistre et son collègue au parquet du Sénat de Savoie, notait au jour le jour toutes les particularités relatives à l’intérieur des Maistre. Ce chevalier, au témoignage même de Joseph de Maistre, semble avoir été un homme excellent et un assez pauvre esprit. Son intimité n’a pas fait que Joseph de Maistre souffrît moins du tourment d’être « incompris ». Scrupuleusement il note sur son registre les naissances et les décès, les parties de campagne, les pique-niques et les macédoines. Il fait à peu près pour le compte de son ami le même travail que les Goncourt ont exécuté pour leur propre compte. Si quelque soir Joseph de Maistre a improvisé une pièce de vers sur des rimes en ac, en ec, en ic, en oc, en uc, il la transcrit religieusement. A coup sûr cela n’enlève rien à la gloire de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Ce sont de petites drôleries qu’un homme d’esprit peut bien commettre, à condition de ne pas s’en vanter, et qu’un fureteur, quand il les retrouve, doit avoir soin de laisser dormir dans leur poussière et dans leur pieux oubli. Néanmoins au cours de ces trois volumes on peut glaner çà et là quelques renseignemens qui ne renouvellent pas l’étude de Joseph de Maistre, mais qui font mieux saillir certains traits de la physionomie de l’écrivain. C’est ce travail que nous essaierons.

Lorsque fut publiée pour la première fois la correspondance de Joseph de Maistre, toute pleine de bonhomie et de, bonne grâce, on feignit une grande surprise. Eh quoi ! cet homme d’un si âpre génie