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et puis de l’ensemble de leurs réponses il avait fait un livre, où nous pourrions aujourd’hui encore chercher les renseignemens les plus précieux sur l’évolution de notre littérature, si par malheur la plupart des écrivains consultés ne s’étaient amusés à parler de tout autre chose, au lieu de répondre à la question précise qui leur était proposée. Mais M. Ojetti a pensé sans doute que les écrivains italiens auraient plus de scrupule, ou peut-être s’est-il promis de les ramener, le cas échéant, à l’unique sujet qui l’intéressait. Et, suivant l’exemple de M. Haret, il s’est mis en route, « à la découverte » comme il nous le dit lui-même, des écrivains de son pays, fermement résolu à ne point leur laisser de repos avant d’avoir obtenu leur avis sur le plus ou moins de probabilité d’une prochaine renaissance de la littérature italienne.


L’exploration qu’il tentait devait, toutefois, lui être plus difficile qu’elle n’avait été à son précurseur français. C’est lui-même encore qui nous en fait l’aveu, dans la préface de son livre. « M. Huret, dit-il, n’a pas eu beaucoup de peine à mener à bien son enquête : sauf une ou deux exceptions, tous les écrivains qu’il a consultés habitaient Paris, et il lui a suffi d’aller de porte en porte les interroger. Tandis que j’ai dû, moi, quittant Rome, traversant ensuite Bologne et la Vénétie, remonter jusqu’aux frontières du royaume, à Arsiero dans la province de Vicence, et à Campiglia Cervo, dans la vallée de Bielle ; puis, de Gênes, repassant par Kome, j’ai dû descendre jusqu’à Naples et dans les Abruzzes. Ce n’est pas sans raison que mes confrères de la presse comique romaine m’ont représenté errant dans des régions inconnues, accoutré de costumes exotiques, tantôt naviguant au long de fleuves mystérieux, et tantôt gravissant à pic des rocs escarpés ; le tout par amour pour l’art et pour mon éditeur. » Et M. Ojetti déplore, à ce propos, le manque en Italie d’un centre qui, comme Paris, attire et réunisse à demeure tous les écrivains.

L’existence d’un tel centre aurait en effet épargné bien des fatigues au jeune reporter, encore que la plupart des régions qu’il lui a fallu explorer, à en juger par le tableau qu’il en fait, n’aient vraiment que le seul défaut d’être un peu loin de Rome ; car sur les frontières du nord et à l’extrême midi, à Arsiero et à Francavilla del Mare, à Bielle et dans les Abruzzes, le ton de ses descriptions atteste un émerveillement continu. Si les écrivains italiens avaient tous pris l’habitude de vivre dans une même ville, son enquête aurait duré moins longtemps ; mais combien, en échange de cet unique avantage, combien elle y aurait perdu de son intérêt et de sa variété ! Je ne parle pas seulement de ces peintures de contrées et de mœurs qui donnent par instans à l’enquête de M. Ojetti l’attrait supplémentaire d’un récit de voyages. Mais c’est l’aspect même des écrivains, leur caractère, ce sont leurs