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écrivains que j’ai consultés, sept seulement m’ont fait une réponse tout à fait pessimiste, MM. Giosué Carducci, Cesare Cantu, Ruggero Bonghi, Paolo Lioy, Edmondo de Amicis, Giovanni Marradi et Arturo Graf. Les trois premiers, déjà vieux et en possession de tout leur renom, ne pouvaient manquer d’avoir horreur de la nouveauté. Les quatre autres sont des socialistes, qui subordonnent les questions littéraires à des considérations économiques. » Soit, et j’admets que ceux-là seuls aient clairement témoigné de leur pessimisme : mais combien d’autres se sont récusés, ou bien se sont bornés à faire sous-entendre, sans vouloir le dire trop expressément, que l’heure de la Renaissance latine leur semblait encore assez éloignée ! Voici, par exemple, un romancier, M. de Roberto, qui affirme que la littérature italienne n’a jusqu’à présent ni des sujets qu’elle puisse traiter, ni une langue dont elle puisse librement user. Voici un auteur dramatique, M. Ferdinando Martini, qui ne croit ni à l’avenir du théâtre, nia celui de la poésie, et qui tient les Fiancés de Manzoni pour le seul roman italien de quelque valeur. En fait d’optimistes, je ne vois guère, à dire vrai, que le groupe des amis de M. d’Annunzio, qui ont naturellement confiance dans le génie de leur ami, et puis encore deux ou trois jeunes gens, dont on devine bien que pour eux la Renaissance latine s’est manifestée surtout dans leurs propres ouvrages.

Ainsi l’enquête de M. Ojetti échoue à nous renseigner sur les chances d’avènement d’une Renaissance latine. La chose, au surplus, n’a rien de trop surprenant ; car il me semble que cette Renaissance, si elle se produit quelque jour, trouvera bien le moyen de s’affirmer par des œuvres, sans qu’il y ait besoin, pour la découvrir, d’aller interroger à leur domicile tous les écrivains du royaume. Et, en attendant, l’enquête de M. Ojetti n’aura pas été inutile : elle aura prouvé, faute de mieux, l’ardente vitalité de ces écrivains qui, aux quatre coins de l’Italie, s’efforcent de ressusciter le vieux génie national. Comme le disait à M. Ojetti l’éminent conservateur de la Pinacothèque de Bologne, M. Enrico Panzacchi, « peut-être la littérature italienne ne s’est-elle pas encore réveillée, mais tous les jours davantage nous souhaitons son réveil. Un sourd travail s’accomplit en nous sans interruption : c’est le génie de notre race qui reprend conscience de lui-même. »

On dirait en effet que, sous la diversité des opinions, un certain nombre de tendances communes commencent à se faire jour dans la littérature italienne, préparant les voies à un art nouveau. La première, et la plus générale, est une profonde lassitude des formules naturalistes. On en a assez de l’observation pure, sans autre but que l’observation même. Roman réaliste, roman psychologique, ce sont désormais des genres dont on ne veut plus. Au théâtre et dans les livres, on demande que l’observation soit subordonnée à une idée