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fois les réformes que les libéraux avaient manquées, ne développât ses franchises locales de manière à donner à l’Irlande une satisfaction immédiate, et à endormir pour plus ou moins longtemps l’énergie de ses revendications. Rien, toutefois, dans la session récente, n’a apporté d’indication sur les vues du gouvernement à cet égard, et nous relevons ici beaucoup plus les bruits qui circulent, sans nous porter garans de leur exactitude, que nous ne faisons allusion à des paroles publiques ou à des actes officiels.

Lord Salisbury, dans sa première confrontation avec elle, s’est contenté de faire tranquillement le décompte de sa belle majorité : il ne lui a encore rien demandé, sinon de voter le budget, ce qui allait de soi. Cependant, plusieurs questions de politique étrangère ont été, non pas discutées, ce serait trop dire, mais effleurées et rapidement esquissées devant le parlement. Le ministère devait à leur égard prendre une attitude, et c’est ce qu’il a fait. Avons-nous besoin de dire combien ces premières manifestations d’une pensée politique, qui n’est peut-être pas encore tout à fait fixée, avaient néanmoins d’importance ? En toutes choses, les commencemens en ont : il est toujours malaisé, lorsqu’on s’est engagé dans un sens, de revenir en arrière et de changer complètement de voie.

Il semble que le gouvernement anglais l’ait compris. Les anciens discours de M. Chamberlain et de M. Curzon sont encore trop récens pour être déjà oubliés : il était permis de craindre que ces hardis champions de l’unionisme et de l’impérialisme, ces orateurs intempérans qui ne ménageaient rien, ni au dedans, ni au dehors, et qui semblaient prendre un plaisir rageur à donner toujours plus de violence à leurs coups, comme le forgeron qui s’amuse à faire retentir l’enclume, n’apportassent au gouvernement quelque chose du tempérament qu’ils avaient déployé dans l’opposition. Entraînés et lancés comme ils l’étaient, sauraient-ils s’arrêter tout net devant le portefeuille qui leur a été confié et se plier subitement à des manières nouvelles ? C’était une question : elle a été heureusement résolue. On a vu une fois de plus qu’un jacobin ministre n’était pas un ministre jacobin. Il est probable que M. Chamberlain et M. Curzon n’ont rien changé à leurs opinions, mais peut-être, il y a deux mois, s’appliquaient-ils à en exagérer l’expression, tandis qu’ils prennent maintenant à tâche de la modérer. En tout cas, ils ne paraissent plus tout à fait les mêmes. Ils ont adopté sans le moindre effort apparent cette phraséologie officielle, un peu banale habilement cadencée et balancée par la mise en équilibre de demi-idées qui se font contrepoids, où tout s’atténue et quelquefois même s’efface, où on n’aperçoit rien de bien distinct, mais où il est encore plus difficile de rien relever d’agressif, et surtout d’offensant. Dès le premier jour où il s’est essayé dans ce genre nouveau pour lui,