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que la parfaite sécurité de l’Egypte en rend la solution toujours plus facile, pour peu qu’on veuille bien l’aborder sérieusement.

Mais, pour le moment, d’autres questions beaucoup moins graves, hâtons-nous de le dire, se posent entre l’Angleterre et la France. Comment n’en aurait-on pas parlé au parlement ? Les journaux des deux pays en sont remplis. La principale de toutes, au moins si on en juge par la prodigieuse quantité d’encre qu’elle fait couler, est celle du haut Mékong. On pourrait croire, d’après l’abondance et l’ardeur des polémiques, qu’il s’agit là des intérêts les plus considérables ; seulement, on s’embrouille un peu lorsqu’on en parle, et il n’y a guère de journal, pas plus en Angleterre qu’en France, qui n’ait commis en le faisant un certain nombre d’erreurs ou de confusions. On se rappelle le discours un peu trop ironique sans doute prononcé en 1890 par lord Salisbury, au sujet de l’arrangement qu’il venait de conclure avec nous entre le lac Tchad et le Niger. — La principale difficulté que nous ayons rencontrée, disait-il, a été de savoir où se trouvaient exactement les pays qu’il s’agissait de nous partager. — Cette difficulté se rencontre assez fréquemment dans les affaires coloniales, étant donné la manière dont on les traite et dont on est d’ailleurs obligé de les traiter depuis quelques années. Tout le monde, en effet, se précipite avec une hâte fiévreuse sur des territoires encore mal connus, à tel point qu’il faut bien, pour éviter les conflits, procéder à des partages et délimiter vaille que vaille, sous réserve des rectifications futures. On opère par à peu près et grosso modo. Toutefois, lorsqu’une controverse amicale s’ouvre entre deux gouvernemens sérieux, comme celui de Londres et celui de Paris, et que d’ailleurs l’intrusion d’aucun tiers indiscret n’est à craindre, la pensée se présente naturellement à l’esprit qu’il serait sage d’envoyer des commissaires sur les lieux pour s’assurer de ce qu’ils sont. Rien ne presse ; la solution peut se faire attendre pendant quelques mois, pendant quelques années même, sans qu’il y ait grand inconvénient pour personne ; il est entendu, et cela sans même qu’il soit besoin de le dire, que pendant l’enquête, le statu quo doit être respecté. Deux gouvernemens de bonne foi égale ne risquent rien à procéder de la sorte, et c’est ce que l’Angleterre et la France ont compris au mois de novembre 1893, lorsqu’elles ont décidé d’envoyer des commissaires sur le haut Mékong.

Elles auront donné un bon exemple aux autres, à la condition pourtant de le pousser elles-mêmes jusqu’au bout. On travaillait avec acharnement, en 1893, à un objet qui a été depuis un peu perdu de vue, à savoir la constitution d’un État-tampon entre nos possessions respectives sur le haut fleuve. L’État-tampon ressemble, dès maintenant, au vaisseau fantôme ; il s’est perdu dans les bruines ; mais il aura eu pour conséquence de nous faire étudier de plus près la géo-