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Qu’est-ce que ces armistices, ces capitulations, sinon la diplomatie de l’épée? Ce décor de franchise réelle ou apparente, cet appareil de bonhomie, loin de montrer la pensée intime, ne servent-ils point à mieux la cacher, et les moyens que l’homme de guerre tire de son métier ne sauraient-ils dérouter ses adversaires quand il les applique à la vie civile? Je ne parle pas ici de Bugeaud, dont le talent ne réclamait que justice, mais combien de ses émules surent mettre au service de leurs ambitions personnelles le flair du courtisan le plus délié! « Vous pouvez toujours compter sur ma parole militaire, disait Napoléon ; seulement ne comptez pas sur ma parole politique. » L’une et l’autre ne se mêlaient-elles pas au point de se confondre souvent? La guerre ne contient-elle pas une part énorme de politique, et, de ce que les hommes d’épée font d’autres gestes, en déploient-ils moins de souplesse pour réussir?

A la Chambre, dont Bugeaud fut membre pendant ce règne, son éloquence un peu âpre, qui sentait la pondre à canon, sa franchise parfois brutale, l’originalité de ses saillies, ne laissent personne indifférent : il exaspère les uns, il effraie les autres par des hardiesses qu’ils approuvent en secret. Jamais un de ses discours ne passe inaperçu; quelques-uns même, lorsqu’il fait appel au patriotisme, obtiennent un assentiment presque unanime, arrachent des larmes aux députés, aux spectateurs des tribunes. Point de harangue de parade, aucun effet de style, nul souci des périodes cadencées: il parle parce qu’il est ému, pour défendre ou faire triompher ses vues ; et il parle souvent, parce que les questions qu’il connaît reviennent souvent sur le tapis. Tant pis s’il lui échappe une expression triviale, comme ce fameux picotin d’avoine appliqué à l’avancement des officiers ; tant pis si la presse lui reproche un langage de caporal, l’appelle un orateur de corps de garde : il n’épargnera pas non plus cette aristocratie de l’écritoire, ces généraux de l’émeute qui disposent de la publicité et dénaturent les séances. D’abord il était allé s’asseoir à côté de MM. Laffitte et Dupont de l’Eure, mais il a trouvé là des billevesées tellement extraordinaires qu’il a bientôt émigré dans les rangs de la majorité. Les guerres de propagande, de liberté! Mais ces guerres-là, comme les autres, se résolvent par des batailles, et pour gagner des batailles, il faut des bataillons, des escadrons et des batteries bien organisées. Pour sa chère agriculture il est sans cesse sur la brèche, réclamant crédits, conseil central, encouragemens aux comices agricoles[1], décorations

  1. II en donne cette excellente définition : « Un comice agricole, c’est une petite société d’agriculture, non pas théorique, mais pratique, qui se charge d’appliquer, sur la surface qu’elle embrasse dans son action, ce qui convient le mieux au sol, au climat, aux habitudes de la localité... »