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une chasse au renard qu’on mène en Afrique : les Arabes, assez enclins d’abord à mépriser le fantassin, appelaient le nôtre Askeur-Djemel, fantassin-chameau. Abd-el-Kader a perdu les cinq sixièmes de ses États, tous ses forts ou dépôts de guerre, son armée permanente ; la province de Tittery est pacifiée et organisée jusqu’au désert. Cependant il lutte avec une admirable énergie, et transporte la guerre sur les frontières du Maroc où il a pour complices tous les marabouts, derviches et santons de l’empire, lancés sur la route de son ambition. La mauvaise foi des Marocains fournit au maréchal l’occasion d’une victoire plus éclatante que toutes les autres : tandis que le prince de Joinville bombarde Tanger et Mogador, il gagne, le 6 août 1844, la bataille d’Isly. La veille du combat il expliquait à ses officiers son plan de combat d’une manière saisissante qui justifiait son surnom de chef de l’école spiritualiste militaire[1] : « Avec notre petite armée dont l’effectif s’élève à 6 500 baïonnettes et 1 500 chevaux, je vais attaquer l’armée du prince marocain qui, d’après mes renseignemens, s’élève à 60 000 cavaliers. Je voudrais que ce nombre fût double, fût triple, car plus il y en aura, plus leur désordre et leur désastre seront grands. Moi, j’ai une armée, lui n’a qu’une cohue. Je vais vous prédire ce qui se passera. Et d’abord, je veux vous expliquer mon ordre d’attaque. Je donne à ma petite armée la forme d’une hure de sanglier. Entendez-vous bien ! La défense de droite, c’est Lamoricière; la défense de gauche, c’est Bedeau ; le museau c’est Pélissier, et moi je suis entre les deux oreilles.. Qui pourra arrêter notre force de pénétration? Ah! mes amis, nous entrerons dans l’armée marocaine comme un couteau dans du beurre. Je n’ai qu’une crainte, c’est que, prévoyant une défaite, ils ne se dérobent à nos coups. »

Cette victoire consacrait la conquête de l’Algérie : non d’une manière définitive toutefois. Poussés par Abd-el-Kader et par un habile agitateur, Bou-Maza (l’homme à la chèvre), le Dahra et l’Ouarensénis donnent le signal de la révolte au printemps de 1845 : nouvelle insurrection plus générale pendant l’automne de 1845 , en l’absence du maréchal qui rentre aussitôt à Alger, lance dix-huit colonnes mobiles, leur impose des fatigues écrasantes, et paie lui-même de sa personne avec un courage aussi simple que dominateur : en peu de mois l’Algérie est de nouveau subjuguée, apaisée. Les succès de 1846 et 1847, la prise de Bou-Maza, une

  1. Quand on le fit duc d’Isly, il refusa de payer les 18 000 francs réclamés pour droit de sceau, par ce motif péremptoire qu’avec cette somme on pouvait se procurer vingt-quatre paires de bons bœufs. Le gouvernement s’empressa de délivrer le parchemin à titre gracieux.