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de la République, et, dans ses lettres à MM. Léonce de Lavergne et Louis Veuillot, on sent plus d’hésitation que d’empressement à accepter une telle charge ; en tous cas, si ses amis le portent, il recommande son procédé ordinaire : la décision, l’énergie. Mais il ne croit pas au succès de son nom, les conservateurs se montrant « toujours disposés à brûler plusieurs cierges devant le diable et à mettre tout au plus un lampion devant Dieu. » Bientôt d’ailleurs, il se rallie à la candidature du prince Napoléon, qu’il préfère, malgré tout, à la domination de « cet infâme National. »

Nommé le 20 décembre 1848 commandant en chef de l’armée des Alpes, on le voit, dans ses proclamations, préoccupé des dangers intérieurs plus que des dangers extérieurs, déclarer sans ambages à ses soldats, aux habitans de Lyon, de Bourges que les départemens ne doivent plus subir la tyrannie des factions de Paris; mais au milieu des occupations les plus sévères, de déplacemens continuels, une invincible sollicitude le ramène aux choses de la terre : « Donne-moi des nouvelles de mon veau et de ma génisse normands-limousins, écrit-il le 11 mars 1849 à la duchesse d’Isly. Je parie que tu n’es pas allée les voir. As-tu du lait? Les avoines sont-elles nées? Les trèfles sont-ils semés? Travaille-t-on à la bâtisse des maisons? » Nommé représentant à l’Assemblée législative qui venait de se réunir, comme il s’apprêtait à regagner Lyon, le mal qui sévissait à Paris, le choléra, l’atteignit le 6 juin, en revenant d’une séance. Quatre jours après il expirait, calme comme en un jour de bataille, ayant gardé la pleine conscience de soi-même, entouré de ses amis. Le président de la République, le général Cavaignac, le comte Molé, le général Rulhières, ministre de la guerre, l’archevêque de Paris rendirent visite à ce grand serviteur de la France, dont l’épée était une frontière, selon l’expression de Veuillot. Mais tous ces honneurs qu’on lui prodigua pendant sa maladie et après sa mort, funérailles solennelles aux Invalides, statues à Alger, à Périgueux, il y eût renoncé de grand cœur pour revoir sa femme et ses enfans restés à la Durantie, ignorant la gravité du mal, rassurés par son aide de camp le colonel Suget qui annonçait la convalescence, le départ immédiat pour la campagne. Vain espoir : le surlendemain, l’évêque de Périgueux apporta la fatale nouvelle. Leur désespoir ne connut plus de bornes, quand ils apprirent que l’imprudence d’un domestique, un verre d’eau rougie donné au maréchal malgré les prescriptions des médecins, avaient causé une rechute: à peine eut-il bu, il tomba dans d’horribles souffrances ; eux présens, le malade était peut-être sauvé.