UNE FAUTE
Devant la porte du cimetière, rangées sur deux files, stationnaient une vingtaine de grandes calèches de deuil, destinées à ramener en ville les personnes qui venaient d’accompagner à sa dernière demeure M. Germain Lepesqueur, notable commerçant, chevalier de la Légion d’honneur, gros fournisseur de l’armée. L’intendant Reinviller, qui sortait des premiers, s’arrêta un instant, puis se rangea un peu sur le côté de la chaussée, afin de rendre leur liberté aux nombreux officiers de toutes armes qui n’auraient point, sans cela, osé le dépasser. Pendant que ces messieurs, en défilant devant lui, le saluaient respectueusement, Reinviller , la tête haute , très droit dans sa tunique noire à grosses broderies d’argent, la main gauche sur la poignée de Fépée, attirait le regard par sa physionomie encore jeune, mais rude, dure, presque hautaine.
Il semblait ne savoir trop comment faire. Au milieu d’une telle
affluence, accaparer une voiture à soi seul eût été d’assez mauvais
goût ; pourtant Reinviller ne se souciait guère de se commettre
avec des inconnus ; et justement l’assistance paraissait mêlée. Il y
avait là, semblait-il, toutes sortes de gens : des Vénérables des
loges, — le défunt était franc-maçon, — qu’on reconnaissait à
leurs insignes ; puis, à coup sûr, d’anciens cliens de Lepesqueur,
des tanneurs, des mégissiers, des selliers ; enfin, portant leurs
bannières constellées de clinquant, des membres de sociétés chorales
dont le défunt avait sans doute été le bienfaiteur.
Les regards de l’officier, qui erraient de côté et d’autre, cherchant parmi tout ce monde quelque figure de connaissance, se fixèrent bientôt sur un monsieur âgé, à longs cheveux blancs, qui se tenait devant la portière d’une voiture vide. Lui aussi,