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avaient eux-mêmes à faire leur apprentissage. Ignorant les motifs des actes du gouvernement et parfois l’existence même de ces actes, ils en étaient réduits à disserter dans le vide, c’est-à-dire qu’ils se lançaient dans des discussions académiques sur les grandes questions constitutionnelles ou se bornaient à critiquer au hasard les intentions présupposées des ministres. La publicité des Chambres leur fournit maintenant un aliment plus substantiel.

D’autre part, le gouvernement n’a rien négligé pour contribuer à l’éducation des classes supérieures. Les écoles de droit se sont multipliées. Des professeurs, dont plusieurs Français, ont vulgarisé les principes du droit public et privé européen. Une section de l’Université impériale correspond assez bien à notre Ecole des sciences politiques. L’initiative privée a créé dans les principaux centres d’autres écoles de droit. Celles de Tokio comptent à elles seules près de 3 000 étudians. Loin de les redouter, l’Etat les encourage, les subventionne, leur fournit indirectement des professeurs et contrôle les examens de leurs élèves. De tels efforts donneront assurément la science à la génération nouvelle. Lui donneront-ils ce sentiment des droits et des devoirs civiques sans lequel on ne saurait concevoir la liberté politique? Pourquoi non? A cet égard, la transformation du droit positif a beaucoup fait et fera plus encore. Les lois, il y a trente ans, n’étaient guère connues que des juges ; on ne les publiait pas. L’idée que les pouvoirs du gouvernement eussent des bornes ne s’était pas fait jour, au moins chez les gens du peuple. Aujourd’hui chacun connaît ou peut connaître exactement la limite de ses droits. La constitution et les codes sont publiés; les lois paraissent au journal officiel. Le nombre des actions intentées à l’Etat ou à ses fonctionnaires va croissant. Ainsi pénètre peu à peu, des couches supérieures dans les couches inférieures, l’idée de droit et de justice, c’est-à-dire l’idée la plus propre à élever le niveau moral d’une nation.

Avec elle s’est propagé le sentiment de l’égalité. L’empereur, qui, avant 1868, ne se montrait jamais aux populations et que celles-ci tenaient pour le représentant de la divinité, a donné l’exemple. Il reçoit maintenant les étrangers et ses propres sujets, sinon avec la simplicité d’un roi constitutionnel, du moins avec infiniment de bonne grâce et de courtoisie. L’ancienne aristocratie foncière n’a pas tout à fait perdu le prestige que lui assuraient ses richesses et sa haute situation ; mais son seul privilège sérieux est maintenant le droit qu’elle possède de former la majorité dans la Chambre des pairs. Tout au plus peut-on compter, parmi les grands fonctionnaires et les officiers supérieurs de l’armée, quatre