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faveur publique que grâce aux changemens, aux coupures qu’on leur fait subir. Dès lors, poètes et musiciens forment deux castes distinctes : le nombre des virtuoses s’accroît démesurément. Il se fonde des conservatoires, le collège de Théos par exemple, où l’on donnait à l’enfant une éducation suffisante pour que, ses études terminées, il pût embrasser la carrière d’acteur ou celle de musicien. Il se crée des agences théâtrales comme les nôtres, organisant des compagnies qui courent la province et jouent les pièces nouvelles.

Après Philippe et Alexandre, Rome exagère encore. Malgré la dépopulation graduelle de l’Hellade et l’émigration des artistes et des savans vers des contrées plus prospères, les fêtes musicales deviennent de plus en plus fréquentes. Il y a des concours solennels dans des bourgades comme Tanagra, Thespies, Thèbes même, alors à peu près déserte. Ainsi que le constate M. Gevaert, la musique fut le dernier art de la société païenne. Rien ne manifeste avec plus d’éclat la persistance des traditions artistiques chez les Hellènes que le programme des luttes musicales, resté sans changemens essentiels depuis Périclès : chant citharodique, solo pour instrument à vent, solo de cithare, jeu de l’aulos combiné avec un chœur chantant et dansant. Même l’antique danse pyrrhique restera en honneur à Rome, quoique ayant dépouillé son caractère guerrier pour tomber à l’état de simple pantomime...

Excepté Nævius, qui essaya de créer une scène vraiment nationale, tous les tragiques latins se sont contentés d’adapter les drames de Sophocle et d’Euripide à la mesure du théâtre romain. La partie musicale de leurs ouvrages se compose aussi de chœurs et d’airs (cantica), mais avec des mélodies toujours écrites par un musicien de profession. Les premières apparitions à Rome des compagnies dionysiaques, musiciens, danseurs et déclamateurs, datent de la destruction de Corinthe : renouvelées de plus en plus fréquemment, elles exercèrent peu à peu sur les rives du Tibre « une influence aussi décisive que le séjour des bouffons italiens sur celles de la Seine en 1752. » Toute la vie du monde élégant fut bientôt organisée d’après la mode grecque. Chrysogone, le riche affranchi de Sylla, comptait tant de musiciens parmi ses esclaves, qu’autour de sa maison ce n’étaient, du matin au soir, que concerts d’instrumens et chansons. Mécène se faisait bercer dans son sommeil par les doux accens de symphonies exécutées à distance. Horace se propose joyeusement d’aller ouïr chez le favori d’Auguste et les nobles mélodies de la lyre dorienne et les cantilènes asiatiques des chalumeaux phrygiens :


Sonante mixtum tibiis carmen lyra,
Hac Dorium, illis barbarum !