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les instrumens n’ayant pas accès au sanctuaire, leur rôle passa à la voie du préchantre, et le prélude se transforma en une antienne, tantôt vocalisée sans autre texte que les syllabes du mot hébraïque Alléluia, tantôt chantée sur un verset tiré de la Bible.

Instituée par l’Église d’Antioche au milieu du IVe siècle, la psalmodie antiphonique se propagea rapidement. Rome l’adopta au temps du pape saint Célestin (422-432). Saint Léon, second successeur de Célestin, lui donna une organisation durable en instituant à côté de la basilique de Saint-Pierre un monastère chargé du service des Heures canoniques : telle est l’origine de la Schola pontificalis, sorte de conseil supérieur du chant liturgique. À cette époque, l’art antique n’avait pas cessé d’être cultivé activement, et les dénominations des modes grecs se maintenaient dans l’usage général ; au commencement du siècle suivant, Cassiodore se sert encore des termes dorien, éolien, iastien ; mais « après la catastrophe où sombra toute l’ancienne société romaine (574) ce dernier reste de connaissances musicales disparut… À l’époque de saint Grégoire le Grand (600), l’érudit Isidore de Séville ne sait plus ce que c’est qu’un mode, ce que c’est qu’un ton. »

Après une période de deux siècles, période vide de documens musicaux, vers 850 apparaît le premier ouvrage didactique consacré aux chants de l’Église, Musica disciplina, du moine Aurélien de Réomé, dans lequel les quatre modes authentiques et les quatre plagaux, définitivement adoptés par la liturgie catholique, sont pour la première fois désignés par leur numéro d’ordre. À quelle époque le nouveau système modal s’implanta à Rome, on ne saurait le dire : Aurélien, le seul écrivain qui donne quelques renseignemens spéciaux à ce sujet, sait qu’il était pratiqué en Occident du temps de Charlemagne. « Mais si les documens littéraires nous laissent dans une profonde obscurité, les monumens musicaux, les chants eux-mêmes de l’Église latine nous envoient quelques rayons de lumière. En examinant les répons de la messe (particulièrement les Graduels), on s’aperçoit que les auteurs des mélodies ont mis sciemment en pratique la théorie des huit sons. Or, comme les parties les plus récentes de l’Antiphonale missarum étaient terminées avant 715, nous sommes forcés d’admettre que la tonalité aujourd’hui dite « grégorienne » avait déjà pris racine à Rome pendant le dernier tiers du VIIe siècle. »

Les nomes que le chant chrétien a puisés au fonds commun de la musique gréco-romaine sont assez peu nombreux : quarante-sept thèmes seulement, à ce que nous apprend le chercheur infatigable qui a eu la patience d’étudier, d’analyser, de comparer toutes les antiennes de l’office romain contenues dans les documens musicaux du IXe et du Xe siècle ; et encore est-il à remarquer que beaucoup de ces thèmes ne se différencient que par leurs premières notes ou par leur cadence finale.