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ne l’inquiètent; c’est toujours, pour des ambassadeurs, une instructive fortune de recueillir l’expression de la « voix populaire », même rude ou perçante.


III

On avait donné à ces fêtes un caractère éminemment populaire. Des billets à prix très réduit avaient été mis en vente dans toute l’Italie. Les patriotes de profession, semi-héros, semi-martyrs, dont la place était marquée dans les cortèges, et qu’attendait même, à Rome, la plus économique hospitalité, étaient tous venus. Pour entourer ces respectables vétérans, le gouvernement avait gracieusement offert le voyage à un grand nombre de jeunes gens, gymnastes et tireurs. Une partie des conseils municipaux de l’Italie avaient envoyé des délégués. Joignez à cela une multitude de visiteurs, jaloux de trouver à bon marché ce qu’on appelle à Rome un buon divertimento, amis des illuminations et des fanfares, oublieux des impôts lorsqu’on leur propose des réjouissances, et tout prêts à vous traiter d’importun si vous leur représentiez que ces fêtes pourraient bien accroître les impôts. En tout, 120 000 voyageurs, dont quelques-uns, pour emprunter leur langage, venaient officier « sur les autels de la patrie rachetée » ; dont quelques autres étaient conviés à s’édifier ; et dont le plus grand nombre, enfin, fut constamment de bonne humeur, sauf à l’illumination du Tibre, qu’on trouva mal réussie.

Dans l’après-midi du 20 septembre, la Porte Pie offrait un spectacle étrange : à travers sa brèche, trop étroite pour l’affluence, un flot d’hommes rouges sous un lambeau de ciel bleu. Ce flot s’avançait, avec les bannières d’antan, vers une colonne dressée en dehors de la porte et rappelant le vingt-cinquième anniversaire : il y avait là le syndic de Rome, et l’armée italienne faisait escorte aux chemises rouges. L’armée tenait ses rangs serrés et bien fermés; les garibaldiens, plus paternes, fraternisant volontiers avec qui veut s’échauffer, laissaient la foule se mêler à leurs rangs; elle faisait tache au milieu de l’écarlate, elle mettait même quelque désordre. Autour de la colonne tout se confondit. Le syndic tint le discours officiel; et puis, sur le piédestal, où faisaient vedette quelques camicie rosse et quelques carabinieri, des orateurs populaires se succédèrent. Personnel de discipline, digne héritière des vieilles troupes piémontaises, l’armée, dans ce cortège, représentait la monarchie ; le personnel des anciennes émeutes représentait la « démocratie ».

On avait vu, le matin, une cérémonie plus significative encore : la monarchie en personne s’était transportée au Janicule