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traduit littéralement, dût le lecteur ne point excuser l’incohérence des métaphores. Et la Capitale, enfin (j’arrêterai là les citations), célèbre la prise de Rome comme un épisode des conquêtes de la liberté et de la pensée humaine, et fait remarquer qu’ « on entra dans Rome lorsque la superstition, du haut du trône de Pierre, sanctionnait l’extrême absurdité, l’infaillibilité. » Que l’édifice italien, souhaitant un faîte, ait trouvé ce faîte à Rome : c’est, paraît-il, une considération trop secondaire pour que cette presse s’y arrête longuement.

Aux approches du 20 septembre, j’ai fait en chemin de fer l’honorable rencontre de deux garibaldiens ; trois Bédouins occupaient un autre coin du compartiment. Les deux garibaldiens étaient chargés de médailles, parlaient beaucoup des prêtres et des zouaves, se réjouissaient à la pensée que le pape déchu, derrière ses volets encore intangibles, verrait des chemises rouges sous la colonnade du Bernin, et considéraient que depuis Mentana la France et l’Italie avaient cessé d’être sœurs. Suspendant un instant ce colloque politique, l’un d’eux regarda les Bédouins, s’étonna de leur fez, de leurs sandales, de leurs amples culottes s’arrêtant à mi-jambe. Interpellés, ces paysans du désert, avec une réserve fière qui me rappelait le paysan du Danube, répondirent qu’en semblable appareil on se rend à la Mecque pour faire ses dévotions au Prophète. Je n’oublierai jamais l’expression du regard, à la fois méprisante et conquérante, avec laquelle un de mes deux grognards s’exclama : Ah! la civiltà Italiana! Il venait de découvrir que l’humanité entière n’était pas encore renouvelée, qu’on avait terrassé dans Rome les superstitions occidentales, mais que les superstitions orientales restaient debout; soyez certain qu’à Rome il aura moins fêté l’unification de la patrie italienne que l’émancipation de la conscience humaine.

A la brèche de la Porte Pie, on a posé deux inscriptions. L’une, intelligible, affirme que depuis vingt-cinq ans, à Rome, l’autorité de la foi et la liberté de l’esprit vivent sous d’égales lois ; elle se termine par une mention de l’unité nationale; pour les simples patriotes, cette inscription suffira. Mais les « mégalomanes » de la libre pensée, pareils à mon voisin de wagon, en souhaitaient une autre, et voici celle que leur a fournie M. Bovio : « Lorsque à l’universalité du droit, affirmé deux fois d’une façon romaine, les destins ajoutèrent la conscience libre de l’humanité nouvelle, par cette brèche l’Italie rentra dans Rome. »

Tout de même qu’on ne saisit pas certains sermons si l’on ne possède la clef du langage dévot, et tout de même qu’il est utile, alors, d’avoir passé par la sacristie avant de s’approcher de la chaire, ainsi les sectes ont constitué je ne sais quelle métaphysique